lundi 23 septembre 2024

Les stalles de l'église Saint-Remy de Marolles-lès-Bailly

 


L’église de Marolles-lès-Bailly-lès-Bailly conserve des stalles remarquables, classées le 15 novembre 1894 à l’inventaire des Monuments Historiques au titre objet, avec cette particularité qui semblerait rare en France et tout au moins unique en Champagne selon François Bonal, auteur du livre Les stalles des églises de Champagne (Dominique Guéniot éditeur, Langres, 1997, p. 64-65). : tous les dossiers sont sculptés. 

  La tradition orale locale voudrait que ces douze stalles proviennent d’une autre église, de l’abbatiale de l’ancienne abbaye de Montiéramey toute proche. Elles auraient été rachetées à la Révolution française, après le démantèlement de celle-ci et la revente de ses biens. Cependant dans l’ancienne abbatiale de Montiéramey subsistent vingt-deux stalles datées du XVIIe siècle, d’un style tout à fait différent et sans la riche ornementation sculptée qu’on retrouve à Marolles-lès-Bailly. Mais sont-elles celles installées à l’origine dans l’abbatiale ? En effet, lors de la vente révolutionnaire du 7 avril 1791 des biens de l’abbaye de Montiéramey, un certain monsieur Petit, bourgeois troyen fit l’acquisition des stalles du chœur de l’abbatiale pour 90 livres et 15 sols (Arch. dép. Aube, 1 Q 1186.). Le curé de Marolles-lès-Bailly, présent à cette vente, emportait celle de trois tabourets garnis de velours rose pour la somme de 6 livres ; mais il n’avait pas enchéri sur les stalles. 

  Aucune source ne permet actuellement de dire ce que les stalles acquises lors de cette vente révolutionnaire devinrent et d’où proviendraient celles installées actuellement à Montiéramey. En effet, certains entrepreneurs enchérissaient sur les ornements des églises et abbatiales lors des ventes révolutionnaires, pour les revendre plus tard. Elles étaient alors réutilisées et réadaptées à d’autres églises ou monuments. 

 Ainsi, au regard des sources connues, la tradition orale quant à la provenance des stalles de Marolles-lès-Bailly est plus que douteuse. Quoi qu’il en soit, et comme nous le verrons, bien des arguments nous permettent d’affirmer que les stalles de Marolles-lès-Bailly ont été placées dans leur position actuelle avant la Révolution française et par conséquent ne peuvent provenir des ventes révolutionnaires. Mieux, nous démontrerons dans l'étude ci-dessous qu’elles ont été conçues pour être placées dès leur origine dans l’église de Marolles-lès-Bailly, mais à une autre place dans l’église, et qu’elles sont ornées d’un programme iconographique riche, fruit de la commande de mécènes locaux.

Bonne lecture.

Version complète téléchargeable : Les stalles de Marolles-lès-Bailly



vendredi 28 juin 2024

La gestion du patrimoine forain de Saint-Étienne de Troyes : de la crise à la conversion d'un espace urbain (XIVe-XVIe siècles)

Encore trop souvent est affirmé que Troyes s'est relevée du Temps des Malheurs et s'est reconstruite et enrichie grâce à la reprise des Foires de Champagne. Outre une contribution au colloque et à ses actes "Guerre et pais en Champagne à la fin du Moyen-Âge. Autour du traité de Troyes", cet article est un élément supplémentaire montrant que les Foires de Champagne se sont éteintes avec les crises des XIVe et XVe siècles et qu'il faut chercher ailleurs les raisons de cette prospérité retrouvée au cours du "Beau XVIe siècle".


Voir par ailleurs la série : 


Résumé de l'article "La gestion du patrimoine forain de Saint-Étienne de Troyes : de la crise à la conversion d'un espace urbain (xive-xvie) siècles)", dans Guerre et paix en Champagne à la fin du Moyen Âge. Autour du traité de Troyes, Actes des journées d’étude de Dijon, Chaumont, Épinal et Troyes (2020-2021), Arnaud Baudin, Valérie Toureille et Jean-Marie Yante (éd.), Gand : Snoeck Publishers, 2024 (ISBN : 978-9-46161-868-9).

Les établissements ecclésiastiques troyens ont laissé des fonds archivistiques et manuscrits importants, en particulier le chapitre de la collégiale Saint-Étienne. Ces archives montrent que la collégiale Saint-Étienne était devenue une importante seigneurie ecclésiastique au sein de la ville de Troyes comme dans toute la Champagne méridionale, se voyant dotée d’un important patrimoine foncier et de ressources issues des foires de Saint-Jean et de Saint-Remy. Avec les crises qui se succédèrent dès le deuxième tiers du xive siècle, le ralentissement sinon l’arrêt du commerce international comme régional et local, au gré des épidémies et des guerres, les revenus issus des foires furent parmi les premiers touchés. Cette crise eut pour conséquence la dégradation de cet espace urbain, si actif, dynamique et animé au temps des foires. La lecture des registres des comptes laisse l’impression qu’une véritable friche commerciale s’étendait dans l’espace forain de la ville. Face à la disparition de revenus importants, les chanoines vont mener une politique de reconversion de leur domaine foncier forain, le transformant en un nouvel espace dynamique de production artisanale et résidentiel. Cette politique allait de pair avec la volonté municipale d’investir le centre de la ville, participant au relèvement de la ville tout en renonçant, de fait, aux revenus que procuraient les foires de Champagne et, par conséquent, au rétablissement des foires elles-mêmes.




Cette étude ouvre de nouvelles perspectives quant à l'évolution de l'urbanisme en cette fin du Moyen-Âge et au début de l'Epoque Moderne à Troyes, ville qui aujourd'hui entretien un "imaginaire médiéval" qui n'a pas existé. Quasiment toutes les maisons de la ville ont été reconstruites à partir de la fin du XVe siècle et des îlots, à l'exemple de la Cour de la Rose, occupés par des jardins, grange, vinée voire vignes, se sont densifiés qu'à partir du XVIe siècle et continuent encore à se densifier aujourd'hui à coup d'élévations pastiches comme dans la "Ruelle des Chats", à cette époque "Ruelle Mailliard".

Voir par ailleurs : 

dimanche 24 mars 2024

Théâtre du pouvoir : les vitraux civils de l'Hôtel des Arquebusiers de Troyes de Linard Gontier (1621-1624)


Figure 1. Arquebusier tirant (L. 25 x H. 31)
Grande salle de l'Ancienne BM de Troyes, musée Saint-Loup
Toutes les photos des vitraux de l'Hôtel de l'Arquebusier sont de Michel Vuillemin

Les vitraux civils de Linard Gonthier ont déjà fait l’objet de diverses recherches et de divers articles, parmi les premiers à avoir travaillé sur cet artiste : Natalis Rondot [1] et Albert Babeau [2], au XIXe siècle. Juliette Rigal [3], documentaliste au musée du château de Pau, à partir des années 1970, a travaillé plus particulièrement sur les dessins de Linard Gontier, certains conservés au Musée de Pau, et les modèles qui ont pu les inspirer, livrant en 1993 une étude renouvelée et plus complète. Nicole Hany-Longespé avait consacré sa thèse de IIIe cycle à Linard Gontier et à ses fils, et livré de nombreux articles à leur sujet [4]. Personnellement, je me suis intéressé à ces vitraux à partir de 1986-87, d’abord dans le cadre d’un dossier de recherche de Licence sur les entrées d’Henri IV et Louis XIII à Troyes, dossier développé et approfondi dans un mémoire de maîtrise, sous la direction du professeur Yves-Marie Bercé et soutenu à l’Université de Reims en 1990 [5]. Il montrait en particulier le lien étroit entre ces deux entrées et la série des vitraux civils d’Hôtel des Arquebusiers. Cet article est la synthèse résumée de deux conférences données, la première le 3 décembre 2013, « Linard Gonthier, des vitraux civils du XVIIe siècle », conférence donnée dans le cadre du cycle organisé par la cité du Vitrail à l’Hôtel du Petit-Louvre (Troyes), la seconde le vendredi 19 janvier 2018, « Théâtre du pouvoir : les vitraux civils de l'Hôtel des Arquebusiers de Troyes », conférence prononcée à Ervy-le-Châtel, halle circulaire, et organisée par La Maison du vitrail d'Armance.

Cette série de vitraux civils est particulièrement importante à plus d’un titre. En effet, s’il est une activité des peintres-verriers troyens qui nous est difficile à saisir, faute de sources et de vestiges signifiants, c’est bien celle de la réalisation de vitraux civils. Certes quelques documents subsistent, mais la plupart des vitraux a disparu ; rares sont ceux qui ont résisté au temps. C’est en cela que la série de vitraux civils réalisée pour l’hôtel des Arquebusiers de Troyes, entre 1621 et 1624, est exceptionnelle. Aucun acte contemporain ne permet d’authentifier à ce jour l’auteur de cette série. Cependant la tradition comme l’étude iconographique et l’étude technique permettent leur attribution à Linard Gontier. De plus, cette série est représentative du contexte de la culture ou de la mythologie royale, qui circulait alors dans le royaume.

 Linard Gontier, peintre verrier

Nous ne connaissons pas d’où est originaire Linard Gontier ; il est fort probable qu’il ne soit pas Troyen, mais rien ne nous permet de l’affirmer à ce jour. 

Il apparaît pour la première fois dans la documentation en 1590. Il aurait alors 25 ans ; dans un acte notarié de 1635, il déclare avoir 70 ans (Arch. dép. Aube, 2 E 7/140), ce qui ferait remonter sa naissance à l’année 1565. Le 18 novembre 1590,  Linard ou « Leonard »  Gonthier est mentionné comme étant verrier dans le registre de la paroisse de Saint-Remy. Il est parrain de Jean, fils d'honorable homme Nicolas Verrat, qualifié de peintre. Trois mois plus tard, le 11 février 1591, il fait baptiser sa fille Loyse à Saint-Jean, ce qui laisse entendre qu’en 1590, soit au moins neuf mois auparavant, il était marié. L’enregistrement de ce baptême permet de connaître le nom de son épouse : Catherine, fille de Charles Verrat. Le parrain de sa fille Loyse est Charles Verrat et l'une des marraines est Marie Verrat. Linard Gontier a donc tissé des liens très étroits avec l’une des familles les plus importantes de peintres-verriers de Troyes à cette époque, dont la lignée remonte au moins à la fin du XVe siècle. Si en 1591, il est enregistré dans le quartier du Beffroy, l’année suivante, le 21 décembre 1592, il loue une maison face au cimetière de Notre-Dame-aux-Nonnains, dans le quartier de Comporté. Les archives révèlent qu'il eut neuf enfants, quatre fils et cinq filles. Trois de ses fils devinrent peintres-verriers : Linard (baptisé le 17 juin 1604), Nicolas (marié en 1632 avec la fille d'un peintre-verrier, Jean Michelin) et Jean (baptisé en 1615).

C'est à partir de 1595-1596 qu’il apparaît dans les registres de fabrique des églises de Troyes - bien que mentionné "verrier" dès 1590 et travaillant peut-être jusqu'alors auprès de son beau-père. En 1595-1596, il refait des verrières à Saint-Jacques-aux-Nonnains, crée pour la femme de Guillaume Dare, une verrière à Saint-Jean-au-Marché et est mentionné pour divers travaux dans les registres de la fabrique de la cathédrale ; il y interviendra presque chaque année jusqu’en 1644. En 1600, il y succèdera à son beau-père comme verrier, travaillant à l’entretien et à la réparation des verrières. Il est alors nommé « verrier de ceste église ». Les dernières mentions seraient au cours de l'année 1648 où il serait mentionné dans les comptes de l'église Saint Jean et dans ceux de Saint-Etienne. 

La documentation nous permet de savoir qu’il travaille aussi à des activités civiles. Une nouvelle technique, apportée à Troyes par Linard Gontier, selon Albert Babeau, permettait la réalisation de petits vitraux parfaitement adaptés à l’ornementation des fenêtres des maisons, hôtels particuliers et bâtiments civils : l’application d’émaux colorés sur une plaque de verre blanc, ensuite recuite pour fixer les émaux. La finesse des traits en faisait de véritables tableaux miniatures, débarrassés des plombs. Ainsi, en 1629-30, il fait ou refait les vitres de différentes pièces de la maison de François Pithou, réaménagée en collège, démontrant ainsi qu’il avait une activité hors des établissements religieux (Arch. dép. Aube, D12).

Entre 1600 et 1630, il connaîtrait sa plus grande période d’activité, intervenant, outre chaque année à la cathédrale, dans presque toutes les églises de la ville ainsi que dans celles de l’agglomération ; il est mentionné par les auteurs anciens tels que Grosley à Sainte-Savine, Montier-le-Celle, et même Rumilly où il aurait réparé des verrières selon Vallet de Viriville. Cependant, certaines de ces mentions resteraient à être vérifiées. C’est au cours de ces années d’intense activité de l’atelier, et tout particulièrement entre 1621 et 1625, que sont réalisées les créations ensembles qui feront pour la postérité la réputation de l’artiste. 

- En 1624, il crée pour la collégiale Saint-Etienne, une verrière du martyr de ce saint. Un dessin est conservé aux archives départementales de l’Aube. La signature au dos du dessin ne laisse aucun doute quant à la paternité de cette verrière.


Figure 2. Dessin de Linard Gonthier pour la verrière du martyre de Saint Etienne (1624)

Arch. dép. Aube, 136 J 10
Photo : J. Provence


Figure 3. Dessin de Linard Gonthier pour la verrière du martyre de Saint Etienne (1624)
Signature de Linard Gonthier au dos du dessin avec au-dessous la signature du notaire royal Nicolas Coulon
Arch. dép. Aube, 136 J 10
Photo : J. Provence

- En 1625 : le Pressoir mystique de la cathédrale (sur lequel on retrouve d’ailleurs de nombreuses armoiries : France, Champagne, Charles de Gonzagues, duc de Nevers et gouverneur de la province, René de Breslay, évêque de Troyes, le maréchal de Praslin, lieutenant général au gouvernement de Champagne, le chapitre de Saint-Pierre et deux donateurs). L’attribution de ce vitrail à Linard Gonthier fut attestée en 1837 par A.F. Arnaud qui, dans Voyage archéologique, déclarait posséder une esquisse du vitrail signée de la main de l’auteur, aujourd’hui disparue. 


Figure 4. Linard Gonthier, verrière du Pressoir Mystique,
Troyes, cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul, baie
Photo : J. Provence
 

- Entre 1621 et 1624 : les vitraux civils de l’Hôtel des Arquebusiers de Troyes. Cependant aucun document ne peut attester qu’il soit l’auteur de cette série. Technique et tradition, attribution par des auteurs du XVIIe siècle, font de Linard Gonthier le peintre-verrier auteur de cette série. 

En 1620, Charles de Gonzagues, duc de Nevers et gouverneur de Champagne, faisait construire un nouvel hôtel des Arquebusier. Précédemment installés dans un endroit marécageux et peu salubre, près de la porte de Croncels, le nouvel hôtel est élevé intra-muros, dans le quartier Saint-Jacques, près de la porte de la Planche-Clément. Au premier étage, les fenêtres de la grande salle de réunion donnant à l’est sur le jardin, sont ornées de vitraux posés entre 1621 et 1624 ; près d’une cinquantaine de panneaux ou de morceaux subsisterait aujourd’hui dispersés entre le Musée Vauluisant de Troyes, l’ancienne grande salle de la bibliothèque municipale et la Société Académique de l’Aube.


Figure 5. Plan de la Ville de Troyes, capitale de Champagne
par Jouvin de Rochefort, Paris, 1679
Dans l'encadré rouge : l'Hôtel des Arquebusiers et le champ de tir



Figure 6. L’Hôtel des Arquebusiers, 43 rue de Planche Clément, Troyes
Photo : J. Provence (2018)

Les vitraux de l’Hôtel des Arquebusiers : symbolique et politique [6]  

 La commémoration d’un événement

Parmi toutes les scènes qui ornaient les fenêtres de l’hôtel, se détachent quatre panneaux représentant des épisodes de l’entrée de Henri IV à Troyes, le 31 mai 1595. Datés de 1621, ce sont les plus anciens datés de la série. Bien que postérieurs à l’événement de 25 ans, les vitraux cherchent à reproduire l’événement avec le plus de réalisme possible. Pour y parvenir l’artiste replace les phases de l’entrée royale dans son environnement, décrit avec un souci particulier du détail. Déjà en 1880, Albert Babeau soulignait le caractère « archéologique » des représentations architecturales [7] : la porte du Beffroy dans le premier tiers du XVIIe siècle, avec ses barrières et tourniquets de contrôle ; la place de l’Hôtel de Ville, celui-ci encore en construction et jouxtant l’Hôtel Notre-Dame, au côté duquel se voit la miraculeuse Belle Croix ; la place de la cathédrale. C’est la plus ancienne vue connue du triple porche et de sa statuaire, cette dernière aujourd’hui disparue.


Figure 7. Entrée du roy Henry le Grand en sa ville de Troyes en l’année 1595, 1621 (55 x 54). 
Grande salle de l’ancienne Bibliothèque municipale de Troyes, Musée Saint-Loup


Figure 8. Quand on luy présente les clefs à la porte de Bellefroy, 1621 (55 x 54)
Grande salle de l'ancienne Bibliothèque municipale de Troyes, Musée Saint-Loup


Figure 9. Quant on luy faict le présent à la maison de ville, 1621 (53 x 51,5). 
Grande salle de l’ancienne Bibliothèque municipale de Troyes, Musée Saint-Loup


Figure 10. Quand on le maine à la grande église Sainct Pierre, 1621 (53 X 51,5). 
Grande salle de l’ancienne Bibliothèque municipale de Troyes, Musée Saint-Loup

Outre ce caractère « archéologique », cet ensemble témoigne de la mémoire et de la représentation qu’a laissé un tel événement dans l’esprit et l’imaginaire des troyens, une fête unique pour les hommes d’alors, l’arrivée du roi qui vient pacifier la région. Ces quatre scènes représentent chacune une étape importante et traditionnelle d’une entrée : l’occursus ou l’accueil du roi hors de la ville par ses magistrats, notables et gardes et milices de la ville et des faubourgs [Figure 7], la remise des clés à la porte de la ville [Figure 8], le présent d’un cœur d’or par une jeune fille place de l’Hôtel de Ville [Figure 9] et l’arrivée du roi devant la cathédrale [Figure 10]. 

Pour cette dernière station, le vitrail révèle un rituel particulier, très furtif et rarement sinon jamais évoqué dans les livrets ou les sources traditionnelles : le « pillage » ou le partage des restes de la cérémonie, celle-ci pas même achevée. Ce « pillage rituel » consiste en l’accaparement par des hommes qui ont participé à la fête d’éléments du décor ou du cérémonial [8]. Dans ce vitrail, les gardes écossaises, reconnaissables à des hauts de chausses aux motifs évoquant le tartan [9], s’emparent du dais tandis que certains hommes du roi se disputent le cheval sur lequel il a fait son entrée. Généralement, la prise pouvait être rachetée par la ville, figurant de ce fait dans les dépenses de l’Entrée. Il s’agit ici d’une des rares représentations figurées de cette pratique en France. Celle-ci existait déjà au Moyen Age dans les cérémonies de prise de possession de l’évêché de Rome. Elle trouvait des équivalents en France et s’était perpétuée à l’époque moderne, connaissant une phase virulente au cours de la seconde moitié du XVIe siècle, et tout particulièrement pendant les Guerres de religion. Si les livrets ou les archives ne nous livrent rien à ce sujet, les relations des voyages des Légats pontificaux sont bien plus éloquentes sur la violence de cet accaparement [10]. Un procès témoigne encore de cette pratique, lors du sacre de Louis XIII à Reims [11]. Ainsi, un tel acte avait sans aucun doute marqué l’esprit de l’artiste, Linard Gonthier, qui assista très certainement à l’entrée de Henri IV, et qui le représenta quelques vingt-cinq années plus tard.

Ces quatre vitraux représentant l’entrée de Henri IV à Troyes sont le seul témoignage figuré de cette cérémonie. Ils reflétaient plus le souvenir, tout aussi précis qu’il pouvait être, déformé par le temps et par l’iconographie contemporaine, qu’une reconstitution exacte, même s’il y avait eu un certain souci de réalisme. Ce sont les quatre mêmes étapes qu’avait retenu un chroniqueur dans ses mémoires, venu de Bar-sur-Seine pour assister à l’évènement, Jacques Carorguy, greffier au bailliage [12]. Le thème des quatre scènes avait sans doute été choisi minutieusement par les commanditaires et préféré à d’autres ; la confrontation avec l’ensemble des vitraux de l’Hôtel des Arquebusier peut nous suggérer des réponses sur les intentions des donateurs.

L’exaltation des rois

L’Entrée de Henri IV s’était faite un an après la « réduction » de la ville de Troyes, après un ferme engagement dans le clan ennemi, la Ligue. Dans les vitraux, les traces de la rébellion avaient été effacées. Ainsi, les commanditaires n’avaient pas fait représenter la « révérence ». Ce rituel, selon la coutume, voulait que le Corps de ville, parfois le Chapitre de la cathédrale, fut accompagné de quatre-vingt jeunes bourgeois ayant le meilleur équipage. Pour l’arrivée de Henri IV, ce n’était plus quatre-vingt jeunes gens, mais douze mille hommes, selon un chroniqueur, qui se seraient présentés devant le roi. En fait, le maire avait effectivement commandé à tous les habitants de la ville et des faubourgs de se tenir prêt en bon équipage pour faire honneur au roi lorsqu’il arriverait devant la ville. Pourquoi l’organisation d’une telle révérence ? Jacques Carorguy, témoin de la scène, explique que ayant rencontré sadicte Majesté, ilz se sont gectez à genoux demandant la larme à l’oeul pardon [12]. Le roi leur répondit qu’il leur remettait toutes choses passées et qu’il leur serait toujours bon roi. Ainsi, les Troyens n’avaient pas choisi cette scène pour un des vitraux de l’Hôtel des Arquebusiers, elle rappelait trop leur rébellion et leur soumission. Ils avaient préféré figurer des scènes symbolisant l’union et la fidélité.

En 1624, ils firent ajouter aux fenêtres de l’Hôtel des Arquebusiers trois panneaux représentant de l’entrée de Henri IV à Paris, copies sur verre et colorées des estampes gravées sur cuivre par Jean Le Clerc d'après les dessins de Bollery, encadrées de textes latins et français aux initiales ornées et gravées sur bois. Ces planches réalisées en 1606 célébraient la "réduction" de Paris sous l'obéissance du roi Henri IV, recueil décrivant l'entrée à Paris d'Henri IV le 22 mars 1594 [Figure 11]. 


Figure 11. Reduction miraculeuse de Paris sous l'obeïssance du roy très-chrestien Henry IIII. & comme sa majesté y entra par la porte neufve le mardy 22. de Mars 1594, Chez la vesve Lean Le Clerc, ruë S. Jean de Latran, à la Salamandre royale, 1606.
Paris, Musée Carnavalet, G.22814


Figure 12. Reduction miraculeuse de Paris (...) détail 
Paris, Musée du Carnavalet, G.22814 


Figure 13. L'Entrée d'Henri IV à Paris, 1624 (25 x 31 cm)
Grande salle de l'ancienne bibliothèque de Troyes, Musée Saint-Loup 


Figure 14. Comme le Roy alla incontinent à l'Eglise nostre Dame (...) détail
Paris, Musée du Carnavalet, G.22814



Figure 15. L'Entrée d'Henri IV à Paris, 1624 (25 x 31 cm)
Grande salle de l'ancienne bibliothèque de Troyes, Musée Saint-Loup 

Figure 16. Comme sa Majesté le même jour estant à la Porte S. Denis, veid sortir hors de Paris [...] (36.9 x 52.9 cm) 
Paris, Musée du Carnavalet, G.36844

Figure 17. Le départ des Espagnols de Paris, 1624 (22 x 31 cm) 
Grande salle de l'ancienne bibliothèque municipale de Troyes, Musée Saint-Loup

À Troyes, l’Entrée représentée était pacifique, pleine de soumission et d’enthousiasme ; à Paris, le roi entrait en armes, bousculant les Espagnols. A-t-on voulu mettre en évidence ce contraste ?

Aux côtés de ces deux entrées, de nombreux autres thèmes (voir à la fin de l'article quelques reproductions) : quatre plans ou représentations de batailles (Ivry, Ile de Rié, Saint-Jean d’Angely et Pont-de-Cé), des portraits (Louis XIII et Anne d’Autriche), des portraits équestres (Henri IV et Louis XIII), de nombreuses armoiries, des arquebusiers et des porte-étendards, et enfin des représentations allégoriques. Cet ensemble peut paraître hétérogène. Il a pourtant un sens, les commanditaires en ont fait le choix.

Les thèmes militaires et de la victoire y étaient largement développés, en particulier sous une forme allégorique. Linard Gonthier y avait représenté Henri IV couronné de lauriers et en empereur romain. Il foulait un homme nu assimilé à une métaphore de la Discorde [Figure 18].

Figure 18. Henri IV, tête laurée, en costume romain, le sceptre d'une main, l'autre sur la garde de son épée, dompte un homme nu renversé, allégorie de la Discorde
Grande salle de l'ancienne bibliothèque de Troyes, Musée Saint-Loup
 Dans un autre vitrail, Louis XIII, paré des mêmes ornements, se tenait debout au milieu de trophées militaires, signes incontestables de sa victoire [Figure 19]. 

Figure 19. Louis XIII, tête laurée, en costume romain, le sceptre d'une main, l'autre sur la garde de son épée, se tient debout devant un trohpée d'armes.
Grande salle de l'ancienne bibliothèque de Troyes, Musée Saint-Loup
De telles représentations avaient pu trouver leur transposition dans les décors de l’Entrée de Louis XIII à Troyes, en 1629. Au-dessus de l’arc de triomphe placé au-devant de la porte du Beffroi, Louis XIII était représenté en empereur romain, dans un char de triomphe tiré par quatre coursiers blancs. Dans cet attelage, il foulait des hommes qui symbolisaient l’Ennui et la Discorde. Cette scène peinte pour Louis XIII avait sans doute été inspirée à la fois par les deux vitraux et par un mystère joué pour l’Entrée de Henri IV. En effet, à la place du Marché-à-Blé, cent-vingt jeunes personnes se présentèrent au roi, habillées de toile d'argent, « à la façon des vieux empereurs ». Armés de morions et de coutelas de bois, les jeunes gens interprétèrent le combat d'une divinité contre la rébellion. Cette dernière fut vaincue et son chef enchaîné à l'arrière d'un char de triomphe[13]. À l’Entrée de Louis XIII, à l’Étape-au-Vin, sur un autre piédestal, on retrouvait le roi représenté en Jupiter, vêtu en empereur romain et foulant Neptune.

Tous ces vitraux participent à une même « culture royale », à laquelle a été intégrée l’événement local, l’Entrée de Henri IV à Troyes. L’examen attentif des thèmes permet de comprendre qu’ils ont un lien : la vénération des deux premiers Bourbon, transposés en héros Antiques ou du présent, et, par leurs armes, rois pacificateurs. Cet Hôtel à vocation militaire était un véritable temple consacré aux « rois de guerre », pour reprendre l’expression de Joël Cornette[14]. Le roi de guerre, mais surtout le roi qui triomphe de la discorde et de l’hérésie, images appartenant à la propagande de l’époque.

Des allégories porteuses de messages

Au cours de l’Entrée de Louis XIII à Troyes, au revers d’une draperie tendue au travers de la rue figuraient Henri IV et Louis XIII, tous deux en Hercule, couverts d’une peau de lion et tenant une massue. Au bas de cette peinture était écrite une devise : FORTES CREANTUR FORTIBUS. Cette allégorie était à rapprocher d’un autre vitrail de Linard Gonthier dont la devise était : OPPORTUNIUS : D’UN BON PERE NAIST LENFANT TRIOMPHANT

Figure 20. "Opportunius : d'un bon prèe naist lenfant triomphant"
Grande salle de l'ancienne bibliothèque de Troyes, Musée Saint-Loup

Le vitrail représentait le père tendant sa couronne à son fils [Figure 20]. Le thème de l’Hercule gaulois avait été couramment employé pour Henri IV. Il était le mythique ancêtre fondateur de la dynastie béarnaise. Pour son Entrée à Troyes en 1595, le roi avait été représenté en une sculpture de plâtre sous les traits d’un Hercule, portant lui-même trois couronnes au-dessus de sa tête. Par ailleurs, l’identification de Louis XIII avec Hercule s’était imposée dès sa naissance. On accorda au nouveau-né un grand destin, égal à celui de son père. Après l’exécution de Concini, les allusions à Hercule se firent de plus en plus nombreuses, s’imposant à partir de 1620 pendant la campagne contre les huguenots. C’est dans ce contexte, entre 1621 et 1624, que Linard Gonthier exécuta le vitrail. C’est ce vitrail qui fut transposé dans cette draperie tendue au-dessus de la rue pour l’Entrée de Louis XIII.

L’Art du vitrail, ici, véhicule une idéologie, la glorification du prince. Les vitraux s’inspirent de gravures et de médailles, et rendent comptent de la réception, à Troyes, tant dans le décor allégorique des entrées royales que dans la série des vitraux civils de l’Hôtel des Arquebusiers, d’une propagande monarchique. Ce vitrail semble s’inspirer d’un jeton de 1601, frappé pour le Conseil d’État, représentant Henri IV en Hercule gaulois vainqueur du centaure, brandissant d’une main sa massue et de l’autre la couronne, avec la légende Opportunius. Sully serait lui-même l’inventeur de cette allégorie ; le ministre avait l’habitude d’offrir au roi et à la reine des bourses de jetons dont il composait lui-même les devises[15]. À la fin de l’année 1600, le Duc de Savoie, profitant des troubles en France, prit le marquisat de Saluces et choisit pour devise un Centaure foulant aux pieds une couronne royale, avec ces paroles : opportune. Lorsque que Henri IV eut conquis la Bresse et la Savoie, Sully commanda aux graveurs des jetons pour l’année 1601 avec pour devise un Hercule renversant un Centaure et relevant une couronne, avec pour âme ces paroles : Opportunius.

À cette date, la propagande monarchique n’est pas encore systématique, mais la représentation de ces thèmes dans des vitraux civils à Troyes démontre bien qu’elle circule et qu’elle inspire. Mais ce que nous montre bien davantage ce vitrail est le génie récupérateur et créateur de l’artiste ou des commanditaires. Dans ce vitrail, il n’est sans doute plus question de la commémoration de la prise de la Bresse et de la Savoie, mais de l’utilisation d’une représentation des rois devenue conventionnelle, recomposée pour délivrer un message. Cette métaphore légitimait la passation de pouvoir entre le père et le fils et le principe de la succession, loi fondamentale du royaume. C’était une reconnaissance de la fin de la Régence, dans laquelle Henri IV remettait directement son pouvoir à Louis XIII.

Figure 21. Henri IV en empereur romain, remet son épée à Louis XIII enfant, aussi en empereur romain.
Grande salle de l'ancienne bibliothèque de Troyes, Musée Saint-Loup

Cette passation de pouvoir se retrouvait dans un autre vitrail de Linard Gonthier. Les deux rois étaient en empereurs romains. Henri IV remettait l’épée à Louis XIII sur fond de bataille, lui indiquant la tâche qu’il devait accomplir [Figure 21]. 

Quelle était donc cette tâche ? Là encore le choix des batailles représentées dans cette série de l’Hôtel des Arquebusiers (Ivry, Ile–de-Rié, Saint-Jean d’Angely, Pont-de-Cé) semble apporter une réponse : pacifier le royaume. Plus encore, les victoires de Louis XIII représentées dans ces vitraux étaient acquises sur les huguenots rebelles à son autorité. Henri IV, qui avait fini par abjurer le calvinisme pour embrasser la religion catholique, avait rétabli la paix dans le royaume. Louis XIII devait suivre l’exemple du père, et rétablir l’ordre mis en danger par les protestants qui ne respectaient plus, selon les catholiques, les principes posés dans l’ « Édit de Tolérance », à savoir l’Édit de Nantes.

A noter, un certain nombre de ces viraux inspirèrent le décor de l'Entrée de Louis XIII à Troyes, 25 janvier 1629. Par ailleurs, Iean Brulet pour le frontispice de « L'ALMANACH POUR L'AN DE GRACE MIL-SIX CENS TRENTE-DEUX » s'inspira bien plus des vitraux représentant l'Entrée de Henri IV à Troyes de Linard Gonthier pour graver l'Entrée de Louis XIII, que de la réalité. Les quatre vitraux représentant l'entrée de Henri IV furent adaptés et personnalisés [Figure 22].  

Figure 22. Iean Brulet, frontispice de « L'ALMANACH POUR L'AN DE GRACE MIL­SIX CENS TRENTE-DEUX », Arch. dép. Aube, 1 Fi Almanach. 

Conclusion

Tous ces thèmes rassemblés en ce lieu, siège de l’élite militaire de la ville, était une manière de démontrer la fidélité et l’attachement de la compagnie des arquebusiers au roi et l’adhésion totale à tout un ensemble d’idées véhiculées par l’image, à une époque où la légende henricienne explosait tandis que le jeune roi Lois XIII devait affirmer sa légitimité, son autorité face aux protestants d’une part et à sa mère d’autre part ; en 1619, Marie de Médicis avait pris les armes contre son fils. Le 7 août 1620 : Louis XIII écrasait les troupes de sa mère au Pont de Cé, bataille représentée dans un des vitraux de l'Hôtel de l'Arquebuse.

Henri IV et Louis XIII avaient favorisé la compagnie des arquebusiers, étendant ses privilèges. Les arquebusiers, au travers du programme décoratif, rendaient hommage aux deux souverains en une cinquantaine de panneaux. Portraits royaux, figures allégoriques, scènes de batailles allégoriques et historiques, arquebusiers et autres hommes d’armes, inspirés ou copiés de gravures et publications de l’époque, ornent les panneaux parmi lesquels il faut mettre en exergue les quatre scènes représentant l’Entrée de Henri IV à Troyes, le 30 mai 1595. On compte encore 17 vitraux peints d’armoiries. Les sujets sont traités avec une grande précision, permise par la technique utilisée, la peinture d’émaux sur une plaque de verre blanc, le tout recuit, technique que l’on aurait ignoré à Troyes avant Linard Gontier. Ces vitraux civils rendent comptes de la circulation des modèles et des représentations à la gloire des souverains, à une époque où le culte du « bon roi Henri » connaissait un développement considérable, permettant d’asseoir la légitimité du pouvoir du jeune Louis XIII. Cette légitimation trouvait aussi sa transposition par la reprise pour les vitraux de représentations issues du décor réalisé pour l’entrée de Henri à Troyes, en 1595, qui eux-mêmes aient pu influencer ou servi de modèle pour le décor de l’entrée de Louis XIII.

Liste des principaux panneaux

Des scènes historiques : 4 panneaux de l’entrée de Henri IV à Troyes, 4 panneaux de l’entrée de Henri IV à Paris, 4 panneaux de batailles de Louis XIII

a.       Les quatre panneaux de l’entrée de Henri IV à Troyes, en 1595 (1521)

Ces quatre panneaux sont entourés de bordures ornées d'attributs militaires et décorées, dans la partie supérieure, des armes de Jean d'Autruy, maire de Troyes en 1594.

-       Entrée du roy Henry le grand en sa ville de Troyes, en l'année •1595 [Figure 7](Lr 0,55, Hr 0,51)

À droite, le roi monte un cheval blanc dont le panache est tricolore ; en arrière-plan, est représenté le fort de Chevreuse et la porte de Beffroi. Au-devant des remparts, les bourgeois de la ville se présentent devant le roi, armés, avec ceux des faubourgs.

La moitié du panneau a été refaite en 1850 par Martin Hermanowska, ainsi que plusieurs parties de la bordure.

-       Quand on luy présente les clefs à la porte de Bellefroy [Figure 8](Lr 0,55, Hr 0,54.)

-       Quant on luy faict le présent à la maison de ville [Figure 9](Lr 0,53, Hr 0,63.)

Le roi, sur son cheval blanc, est sous un dais porté par quatre notables : Perrignon, Dorieulx, Perricard et Boullerot. Françoise Lebé, debout sur un char, lui offre un cœur d'or au nom de la ville. A l'arrière-plan : l'hôtel de Notre-Dame avec à droite, caché en partie de tapisserie et par l'arc de triomphe, l'ancien hôtel de ville.

-       Quand on le maine à la grande église Sainct Pierre [Figure 10](Hr 0,53, Lr 0,515)

La bordure est ornée d'un piquier et d'un arquebusier qui forment pendants, comme sur le frontispice de l'Art militaire pour l'infanterie, par J.-J. de Waïhausen, 1615, in-folio. Le mouvement qu'exécute le piquier est « Portez la pique haut » comme on peut le voir dans la 3e planche de cet ouvrage.

Le piquier a été copié sur une figure de la planche 8 du Maniement d'armes, d'arquebuses, etc., représenté par figures de J. de Geyn, Zutphen, 1619, in-4°.

b.         L’entrée de Henri IV à Paris (1624) 

-       Entrée de Henri IV à Paris [Figure 13]

Ce vitrail et les deux suivants ont été copiés sur trois gravures publiées en 1606, attribuées à Léonard Gautier, et qui portent cette mention : N. Bollery pinxit — Jean Leclerc était l'éditeur

La première gravure porte cette légende :

Réduction miraculeuse de Paris sous l'obéissance du roy très chrestien Henri IIII et comme Sa Majesté y entre par la Porte-Neuve, le mardy 22 de mars 1594.

-       Henri IV se rendant à Notre-Dame [Figure 15] (Hr 0,395, Lr 0,31.)

Légende de la gravure : 

Comment le Roy alla incontinent à l'église de Nostre-Dame rendre grâces solennelles à Dieu de ceste admirable réduction de la ville capitale de son royaume

-       Le départ des Espagnols de Paris [Figure 17](Hr 0,37, Lr 32.) 

c.          La représentation de batailles 

-       La bataille d'Yvry, 14 mars 1590 (Grande salle de l'ancienne bibliothèque de Troyes, Musée Saint-Loup ; H. 0,52 x L. 0,52. Lacune importante à droite.)

Au premier plan, une église et des maisons couvertes en chaume ; dans la partie à gauche, deux corps de lansquenets soutenant quatre pièces de canon placées en avant d'un chemin creux ; de l'autre côté, des reîtres chargeant.

Au second plan, la cavalerie de M. de Nemours et de M. d'Aumale attaquant celle de M. le Maréchal de Biron.

Au troisième, la cavalerie de M. le duc de Maine, précédée de lanciers chargeant.

L'armée du roi Henri IV manque malheureusement en grande partie.

On distingue seulement sur ce plan un corps de cavalerie de M. de Givry, et un corps de fantassins sur lequel on peut lire : Garde du R....

Au quatrième plan, suisses à pied précédés de lanciers chargeant des cavaliers de M. le comte d'Au soutenus par ceux de M. le baron de Biron.

Enfin, dans le haut, une charge contre les cavaliers de M. le duc de Montpensier, et des lansquenets à pied soutenant une charge des cavaliers de M. le Maréchal d'Aumont.

À gauche, une rivière, avec un pont de bois conduisant à un petit village, et dans le fond la ville fortifiée d’Yvry.

À droite, au fond, la ville de Dreux.

Ce panneau a pu s’inspirer de gravures de batailles qui circulaient à l’époque. Celui-ci aurait été donné à l'hôtel de l'Arquebuse par Jacques de Marisy, s'il faut en croire une note de MM. Angenoust de Cervet et de Villechétif, qui figure dans une généalogie de leur famille rédigée en 1785.

Le Musée National du Château de Pau conserve le dessin préparatoire de ce vitrail de Linard Gonthier.

-       Louis XIII s'empare de la ville du Pont-de-Cé sur les troupes de la reine-mère et des mécontents, 7 août 1620. (Salle des séances de la Société Académique de l'Aube, H. 0,17, L. 0,245, sans la bordure).

Au premier plan, le roi à cheval. Il est tête nue, couronné de laurier, portant le cordon bleu avec la croix du Saint-Esprit. Deux anges lui apportent des palmes.

À droite, le Pont-de-Cé ; à gauche, sur une hauteur, le château de Caen.

-       S. Jehan d'Angely, siège du 18 au 25 juin 1621 (Grande salle de l'ancienne bibliothèque de Troyes, Musée Saint-Loup ; H. 0,215 x L. 0,235 sans la bordure)


Vue panoramique, copiée d'après une estampe intitulée : « Le vrai plan topographique de la ville de Sainct Jehan d'Angely, ainsi qu'elle estait lorsqu'elle fut assiégée par le Roy le dix-huitiesme de may 1621, en l'obeyssance duquel elle se rendit le vingt-cinquième de juin ensuivant, — à Paris, chez Nicolas de Mathonière, rue Montorgueil, à la Corne de Daim. (H. 0,21, L. 0,34.)

Bordure ornée de trophées militaires et portant la date de 1624.

-       L'Isle de Rié, 15 avril 1622 (Grande salle de l'ancienne bibliothèque de Troyes, Musée Saint-Loup ; H. 0,22 x L. 0,24 sans la bordure ; H. 0,38 x L. 0,49 avec bordure)


Vue panoramique de la prise de l'île de Rié, ou Riez, en Vendée, le 15 avril 1622. Entre l’océan et le fleuve de la Vie, l’isle de Rié, qui n’existe plus aujourd’hui, investie par les Huguenots et huguenots, notamment Benjamin Rohan de Soubise est encerclées par les armées de Louis XIII.

Les quatre cavaliers à casque empanaché au premier plan, sont, en partant de la droite, M. le prince de Condé, M. de Vendôme, le Roy et le comte de Soissons. Le bourg fortifié à gauche est le bourg de la Croix-de-Rié (Saint-Gilles-Croix-de-Vie). Le pont, au-dessus de la tête de M. de Vendôme, est intitulé le pont d'Aron.

Copie d'une estampe intitulée : « Plan de l'île Périé et de Rie, avec la représentation de l'armée du Roy, 1622 » — à Paris, chez Nicolas de Mathonière, rue Montorgueil.

Cette estampe a 0,38 de haut sur 0,49 de large, le sujet du vitrail n'a que 0,23 sur 0,25 ; il est moins complet à droite que la gravure.

La bordure est ornée d'attributs militaires.

d.         Portraits historiques et Allégoriques 

-   Henri IV à cheval (Grande salle de l'ancienne bibliothèque de Troyes, Musée Saint-Loup ; H. 0,37 x L. 0,32 avec bordure)


Entourage orné d'attributs militaires. Au bas, ces vers :

Arques, Ivry, Dijon portent toujours les marques

De l'heur du droit du cœur du plus grand de nos rois,

Et l'orgueil estranger tremble toute les fois

Qu'on parle des combas de Dijon, d'Yvry, d'Arques.

-   Henri IV, tête laurée, en costume romain, le sceptre d'une main, l'autre sur la garde de son épée, dompte un homme nu renversé (Grande salle de l'ancienne bibliothèque de Troyes, Musée Saint-Loup ; H. 0,36 x L. 0,32.)[Figure 18]

Bordure à petits ornements bleus et rouges. 

Vitrail très inspiré d'une gravure de Jérome David d'après Robert Picou, de 1624 (BNF, Cabinet des Estampes, coll. Hennin, n°1337. Celle-ci reproduit, avec quelques variantes la statué réalisée par Nicolas Cordier à Saint-Jean-de-Latran à Rome en 1608 (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b550023138). 

-   Henri IV, en guerrier romain, le casque en tête, remet son épée à un guerrier enfant (Louis XIII) (Grande salle de l'ancienne bibliothèque de Troyes, Musée Saint-Loup ; H. 0,23 x L. 0,24 sans la bordure)[Figure 21]

Au second plan, une charge de cavalerie

Bordure analogue à la précédente. Il existe un dessin de ce vitrail. 

-   Allégorie. Henri IV, en Hercule, remet sa couronne à son fils, aussi en Hercule, armé d'une massue et debout sur un lion couché (Grande salle de l'ancienne bibliothèque de Troyes, Musée Saint-Loup ; H. 0,50 x L. 0,485)[Figure 20]

Derrière Henri IV, un centaure qu'il a dompté. Au fond, un camp, des troupes en marche et en bataille ; plus loin, un combat d'infanterie, aux portes d'une ville, dont on aperçoit la silhouette au milieu de montagnes escarpées. Louis XIII a été également représenté en Hercule.

Légende au bas : Opportunivs. D'vn bon père naist l'enfant triomphant.

-   Louis XIII à cheval (Grande salle de l'ancienne bibliothèque de Troyes, Musée Saint-Loup ; H. 0,235 x L. 0,182 sans la bordure)



Le cheval est au pas. Le roi en cuirasse, la fraise autour du cou, le bâton de commandement sur la cuisse, la tête laurée. Au fond, la vue du Pont-Neuf et de la Cité, à Paris. 

Entourage orné d'attributs guerriers. 

Légende au bas : Que Votre Majesté surpasse. 

-   Louis XIII, vêtu à l'antique, debout sur un tertre, avec au premier plan à gauche deux soldats dont l'un joue du tambour et l'autre du fifre (Troyes, musée Vauluisant ; H. 0,36 x L. 0,30 avec la bordure)

        

    Ce vitrail copie un dessin à la plume conservé aux Archives départmentales de l'Aube. A la place de Louis XIII figure un guerrier barbu armé à l'antique, sur un tertre.

Allégorie
Archives départementales de l'Aube

-   Louis XIII, dans un cartouche ovale, entouré de têtes de lions en mascaron et d'attributs militaires (Grande salle de l'ancienne bibliothèque de Troyes, Musée Saint-Loup ; H. 0,40 x L. 0,37)


Dans le bas, le chiffre L couronné, accompagné du chiffre XIII ; de l'autre, une fleur de lis.  

-   Anne d'Autriche, dans un cartouche ovale orné de quatre mascarons et de fleurs (Grande salle de l'ancienne bibliothèque de Troyes, Musée Saint-Loup ; H. 0,40 x L. 0,37)


Dans le bas, deux fois la lettre A couronnée. 

-   Louis XIII [Figure 19]

Bordure de pièces rapportées. (H. 38, L. 36.)

Le roi est debout, vêtu en romain, avec les colliers de ses ordres et le manteau fleurdelisé. Il tient le sceptre en main. À ses pieds, un trophée d'armes, parmi lesquelles un drapeau rouge orné de deux croissants entrelacés. Cette représentation a pu être un modèle pour la réalisation de la statue de Louis XIII qui sera posé au fronton de l’Hôtel de Ville de Troyes quelques années plus tard.

Gravure de Patte publiée dans les Éphémérides pour l’année 1758 de Pierre-Jean Grosley.
 Photo : Pascal Jacquinot, Médiathèque du Grand Troyes

Détail 

e.    Autres représentations 

-   Arquebusier tirant (Grande salle de l'ancienne bibliothèque de Troyes, Musée Saint-Loup ; H. 0,215 x L. 0,155)[Figure 1]

Un ange lui apporte trois couronnes et une palme. Au-dessus, cette devise : Rien de plus beau.

Au bas, un lis fleuri. Paysage dans le lointain.

L'arquebusier, qui passe pour être Louis XIII, porte une écharpe bleue à laquelle est suspendue une croix de la forme de celle de l'ordre du Saint-Esprit.

Une étude qui a servi pour ce vitrail est conservée au musée.

-   Porte-étendard (Grande salle de l'ancienne bibliothèque de Troyes, Musée Saint-Loup ; H. 0,215 x L. 0,155)


En chapeau de feutre à plumes, le pourpoint bleu, les hauts de chausses rouges ; il porte de la main droite un grand drapeau blanc semé de fleurs de lis, aux armes de France et de Navarre. Au second plan, des guerriers combattent.

Bordure bleue et rouge. (H. 0,30, L. 0,25)



[1] Il a laissé un important fichier, conservé aux Archives départementales de l’Aube, à manipuler avec beaucoup de précaution et surtout de vérifications car non exempt d’erreurs.

[2] Linard Gontier et ses fils, peintres verriers, Troyes, Dufour-Bouquot, 1888.

[3] « Deux cartons de Linard Gontier au château de Pau », Bulletin des amis du château de Pau, janvier 1974, p. 10-18 ; « Deux cartons de Linard Gontier au château de Pau », La vie en Champagne, n° 232, avril 1974, pp. 10-17 (Reproduction de l’article précédent) ; « Deux dessins de Linard Gontier pour l’hôtel de l’Arquebuse à Troyes », Revue du Louvre et des Musées de France, 1977-2, pp.70-77 ; Juliette Rigal, « Linard Gontier et les vitraux de l’Arquebuse. Henri IV et Louis XIII à Troyes », La Vie en Champagne, n° 261, décembre 1976, pp. 6-11 ; Juliette Rigal, « L’Hôtel de l’Arquebuse à Troyes et l’entrée de Henri IV », Bulletin de la société des Amis du château de Pau, nouvelle série, n° 70, 1977-1, pp.1-16 ; Juliette Rigal, « L’Entrée de Henri Iv à Paris : trois vitraux de l’hôtel de l’Arquebuse à Troyes d’après Nicolas Bollery », Nouvelles de l’estampe, n°39, mai-juin 1978, pp. 10-13 ; Juliette Rigal, « Henri IV et Louis XIII dans l’œuvre de Linard Gontier. L’Hôtel de l’Arquebuse », Bulletin de la société des Amis du château de Pau, n°127, 2e semestre 1993, pp.4-60.

[4] Nicole Hany-Longuespé, Linard Gontier et ses fils, peintres-verriers. Les vitraux religieux de son atelier à Troyes, Thèse de doctorat de Troisième cycle sous la direction de Yves Botineau, Université de Paris X Nanterre, s.d./s.l. ; « Linard Gontier et ses fils, peintres-verriers La peinture sur verre à Troyes dans la seconde moitié du XVIIe siècle », Mémoires de la Société Académique de l'Aube, Tome 110, 1979-1981 ; « Linard Gontier, peintre-verrier troyen, 1565-après 1642 : sa vie et l'œuvre de son atelier », Bulletin de la Société d'histoire de l'art français, année 1979 ; « Linard Gontier Ier (1565 – v. 1642), peintre-verrier. L’œuvre de l’atelier », La Vie en Champagne, juin 2008, pp. 35-40.

[5] La ville en fête : les entrées royales de Henri IV et Louis XIII à Troyes, 1595 & 1629, déposé aux Archives départementales de l’Aube, cote Bibliothèque 36 J 81.

[6] Pour plus de développement sur le sujet voir en particulier : Jacky Provence, La ville en fête : les Entrée de Henri IV et Louis XIII à Troyes (1595-1629), mémoire de maîtrise, Université de Reims-Champagne-Ardenne, 1990 ; « l’entrée de Louis XIII à Troyes : un renforcement symbolique de la souveraineté royale », La vie en Champagne, nouvelle série numéro 27, juillet-septembre 2001, p. 4-15. Nicole Hany-Longuespe, Linard Gonthier et ses fils, peintres verriers. Les vitraux religieux de son atelier à Troyes, Thèse de Doctorat de 3e cycle sous la direction de BOTTINEAU Yves, Université de PARIS X, p. 64-81. Juliette Rigal, « Deux dessins de Linard Gonthier pour des vitraux de l'Hôtel de l'Arquebuse à Troyes », Revue du Louvre et des musées de France, Paris, 1977-2, p. 70-77.

[7] « Henri IV à Troyes », dans Annuaire de l’Aube, 1880, 2e partie, p.24 ; « Linard Gonthier et ses fils, peintres verriers », Troyes, 1888, p. 20-21.

[8] Jacky Provence, « Le cheval de la fête : attribution et appropriation au cours des cérémonies publiques en Champagne à l’époque moderne », dans Pouvoirs, contestations et comportements dans l’Europe moderne. Mélanges en l’honneur du professeur Yves-Maris Bercé, sous la direction de Bernard Barbiche, Jean-Pierre Poussou et Alain Talon, collection Centre Roland Mousnier, Paris, PUPS, 2005, p. 1041-1057.

[9] Les spécialistes ne datent la codification du « kilt » qu’au XVIIIe siècle, sinon au XVIIe. Pourtant, ce type d’étoffe, le tartan, semble bien identifier dans ce vitrail les gardes écossaises.

[10][12] Voir l’article de Marc H. Smith, « Ordre et désordre dans quelques entrées de légats à la fin du XVIe siècle », dans Les Entrées : gloire et déclin d’un cérémonial ; Colloque des 10 et 11 mai 1996, Château de Pau, actes réunis par Christians Desplat et Paul Mironneau, Société Henri IV, 1997, p. 65-91.

[11] Un tel « pillage rituel » s’est déroulé à Reims en 1610 lors du sacre de Louis XIII. Les habitants du Chesne qui constituaient la garde d’honneur du vicaire chargé de porter la Sainte Ampoule de l’abbaye de Saint Remy à la cathédrale puis de la ramener, sur le parcours du retour, se sont violemment emparé de la haquenée et du dais du vicaire, porteur de la Sainte Ampoule. Il y eut combat entre les gens du Chesne et des seigneurs du roi, qui accompagnaient aussi la Sainte Ampoule, et le vicaire fut blessé (A.M. Reims, C 731, liasse 17).

[12] Jacques Carorguy, Recueil des choses les plus mémorables advenues dans le royaume de France (1582-1595) », édition du manuscrit 2426 de la Médiathèque de l’Agglomération Troyenne publiée par Jacky Provence, Paris, Honoré Champion, 2011.

[13] Une telle scène se trouve représentée à l’Entrée de Louis XIII à Paris en 1928.

[14] Le roi de guerre. Essai sur la souveraineté dans la France du Grand Siècle, Paris, Bibliothèque Historique Payot, 1993.

[15] Françoise Bardon, Le portrait mythologique à la Cour de France sous Henri IV et Louis XIII, Mythologie et Politique, Paris, Picard, 1974, p. 200.