Marie-Sidonia de Lenoncourt, fut considérée
comme l’une des plus belles femmes d’Europe… née en 1650, elle décéda en 1685,
à 35 ans.
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Portrait
de femme (Marie-Sidonia de
Lenoncourt)
par Nicolas de Largillière,
collection privée, 64.8 x 81.3 cm
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Elle a laissé ses mémoires, véritable
plaidoyer, dans lesquels elle conte ses déboires.
Ces Mémoires débutent avec un autoportrait, ce qui était assez rare à cette époque.
« …, je serai fort aise que l’on sache, pour votre honneur et pour le mien, que je suis d’une des meilleures maisons du royaume ; qu’il ne faut qu’avoir lu l’histoire et savoir le nom que je porte pour être convaincu qu’il n’y a point de dignité qui ne soit entrée dans ma famille ; que, du côté de ma mère, je suis plus d’une fois alliée à l’Empire, et que je tiens aux plus grands princes de l’Allemagne.
Pour mon portrait, je voudrais bien le faire sur l’idée que vous en avez conçue, et qu’on voulût s’en rapporter à vos descriptions ; mais il faut dire naïvement ce qui en est : j’avouerai que, sans être une grande beauté, je suis pourtant une des plus aimables créatures qui se voient ; que je n’ai rien dans le visage ni dans les manières qui ne plaise, ni qui ne touche ; que, jusqu’au son de ma voix, tout en moi donne l’amour, et que les gens du monde les plus opposés d’inclination et de tempérament sont d’un même avis là-dessus, et conviennent qu’on ne peut me voir sans me vouloir du bien.
Je suis grande, j’ai la taille admirable et le meilleur air que l’on puisse avoir ; j’ai de beaux cheveux, faits comme ils doivent être pour parer mon visage et relever le plus beau teint du monde, quoiqu’il soit marqué de petite vérole en beaucoup d’endroits ; j’ai les yeux assez grands ; je ne les ai ni bleus ni bruns, mais entre ces deux couleurs ils en ont une agréable et particulière ; je ne les ouvre jamais tout entiers, et, quoique dans cette manière de les tenir un peu fermés il n’y ait aucune affectation, il est pourtant vrai que ce m’est un charme qui me rend le regard le plus doux et le plus tendre du monde ; j’ai le nez d’une régularité parfaite ; je n’ai point la bouche la plus petite du monde, je ne l‘ai point aussi fort grande.
Quelques censeurs ont voulu dire que dans les justes proportions de la beauté, on pouvait me trouver la lèvre du dessous un peu trop avancée ; mais je crois que c’est un défaut qu’on m’impute pour ne m’en avoir pu trouver d’autres, et que je dois pardonner à ceux qui disent que je n’ai point la bouche tout à fait régulière, quand ils conviennent en même temps que ce défaut est d’un agrément infini, et me donne un air très-spirituel dans le rire et dans tous les mouvements de mon visage. J’ai enfin, la bouche bien taillée, les lèvres admirables, les dents de couleur perle, le font, les joues, le tour du visage beaux, la gorge bien taillée, les mains divines, les bras passables, c’est-à-dire un peu maigres, mais je trouve de la consolation à ce malheur par le plaisir d’avoir les plus belles jambes du monde. Je chante bien sans beaucoup de méthode, j’ai même assez de musique pour me tirer d’affaire avec les connaisseurs. Mais le plus grand charme de ma voix est dans a douceur et la tendresse qu’elle inspire ; et j’ai enfin des armes de toutes espèce pour plaire, et jusques ici je ne m’en suis jamais servie sans succès. Pour l’esprit, j’en ai plus que personne, naturel, plaisant, badin, capable aussi de grandes choses, si je voulais m’y appliquer.»
Elle est née au château
édifié par son grand-père, à Marolles-les-Bailly.
Son père, Joachim de
Lenoncourt, marquis de Marolles et bailli de Bar-sur-Seine, était issu d’une
branche cadette d’une des plus illustres maisons de Lorraine, l’une des quatre
plus anciennes maisons de chevalerie, qui avait donné des archevêques et
cardinaux. Joachim avait été une fine lame, prompt à provoquer en duel en ces
temps où le roi Louis XIII et son ministre Richelieu l’avait interdit, sous
peine de condamnation à mort. Il dut s’enfuir au Luxembourg ; en juillet 1633,
la justice du roi le condamna par contumace à la décapitation.
Au cours de son exil, il
épousa Isabella Klara von Kronberg, d’une non moins illustre maison d’Empire. Ils
eurent un fils, Louis-Anne et une autre fille, Henriette, décédée jeune.
Joachim rentra en grâce ; le
roi avait besoin d’hommes de valeur pour mener la guerre. Il devint
lieutenant-général et gouverneur de Thionville en 1643. Marie-Sidonia n’avait
que 4 ans lorsqu’en 1654 la tête de son père fut emportée par un boulet de
canon au château de Mussy en Lorraine. Sa mère, Isabelle-Eugénie, sombra dans
une vie dissolue, convola en noces morganatiques avec un certain Bunel. La
rumeur faisait de lui "Saint-Ange", l’un des chefs des brigands de la Cour des Miracles…
qui finit sur la roue.
Afin d’épargner cette
déchéance à Marie-Sidonia, son tuteur, le puissant duc de Villars,
avait enlevé Marie-Sidonia à sa mère et l’avait placée dans l’abbaye Saint-Loup
d’Orléans dont l’abbesse était une tante, Marie de Lenoncourt. Elle y passa 10
années, lorsque le décès de son frère, en 1664, bouleversa son destin.
Marie-Sidonia devenait une jeune et belle riche héritière, vite convoitée par
de nombreux prétendants dont Colbert. Ce dernier, ayant l’oreille du roi Louis
XIV, obtint qu’on enlève la jeune fille de son couvent, pour le profit de son
frère.
« Le roi, voulant me mettre en état de choisir moi-même, me
fit l’honneur de m’envoyer prendre par un exempt et douze gardes. Je crois que
ma tante eut comme un pressentiment que ma sortie de son cloître devait être le
commencement de mes infortunes. Elle reçut l’ordre qui m’arrachait de ses bras
avec des torrents de larmes ; et ne pouvant se résoudre à m’abandonner à une
vie si différente de celle que j’avais commencé de mener, elle prit un carrosse
et me suivit de loin, n’ayant pu obtenir de celui qui me conduisait la
permission d’entrer dans celui où j’étais, ni de me parler, non plus qu’aux
femmes que le roi avait envoyées pour m’accompagner. Pour moi, je fus si
étourdie de cette aventure, ou plutôt si charmée de me voir passer du cloître
dans la plus belle cour du monde, que je ne prenais nulle part à sa douleur (…)
en descendant du carrosse, je fus présentée au roi en habit de pensionnaire,
aux pieds duquel je me jetai, et qui me reçut avec toute la bonté imaginable,
me promettant sa protection… »
Marie-Sidonia, malgré ses 14
ans, avait su montrer un caractère impétueux et farouche, décidée de se refuser
au frère du puissant ministre. Une demoiselle d’une telle lignée pouvait-elle épouser
un homme dont les pères et grands-pères étaient banquiers et marchands-drapiers ? Aussi riche qu’il puisse être ? Une telle mésalliance était pour elle d’une «
répugnance effroyable » ! En attendant le mariage, le roi lui donna le choix de
demeurer auprès de la reine ou auprès d’une princesse de sang de son choix ; elle
choisit d’être auprès de Marie de Bourbon-Condé, princesse de Carignan,
chez laquelle nombre de galants vinrent lui faire la cour, dont le frère de
Colbert, qui n’avait pas renoncé et se voyait encore marié à elle. « Je fus
inspirée très-assurément par mon mauvais ange de demander d’être mise auprès de
madame la princesse de Carignan ». Le beau-frère du ministre
tomba aussi éperdument amoureux d’elle. L’affaire prit de telles proportions
que la belle trouva enfin le prétexte pour rompre définitivement avec les
prétendants de la famille Colbert.
« Depuis que je fus hors de mesure avec la maison de M. de
Colbert, la réputation que j’avais d’avoir du bien m’attira la recherche de
tous les jeunes gens qui étaient à marier dans ce temps-là. Mais comme ce
n’était des amants que pour le mariage, et qu’il n’y a rien d’extraordinaire dans
le soin qu’ils m’ont rendus pour cela, je ne saurais prendre la peine d’en
prononcer ni d’en rien dire ».
La belle aurait-elle souhaité
s’amuser un peu avec quelques galants, avant de consentir au mariage ?
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L’Hôtel de Soissons au XVIIe siècle |
L’Hôtel de Soissons,
résidence de la princesse, était l’un des plus beaux centres de la galanterie
parisienne où l’on rencontrait les plus beaux esprits et les plus belles dames
de la cour ; elle y côtoya Olympe Mancini
et la duchesse de Chevreuse.
C’était l’un des hôtels où se fourbissaient les plus grandes intrigues de la
cour, dont celle qui vit la perte de Fouquet. Marie-Sidonia était devenue un
jouet entre les mains de ses protectrices, la princesse de Carignan et sa
fille, la princesse de Bade,
mais celles-ci voyant s’évaporer un moyen d’attirer les faveurs du roi par
l’intermédiaire de son ministre, forgèrent un nouveau dessein : l’offrir au duc
de Villeroy,
autre grand du royaume pouvant attirer les bienfaits du roi, pour son neveu, Charles de Champlais, marquis désargenté de
Courcelles, neveu par ailleurs de Louvois.
Le mariage fut rapidement
arrangé, auquel consenti le roi à la demande de Villeroy. Marie-Sidonia se
laissa convaincre, avec la promesse qu’on ne l’obligerait à ne jamais quitter
Paris. Le mariage eut lieu le 19 février 1666 en privé dans la chapelle de
l’Hôtel de Soissons, sans que sa famille ou ses tuteurs en soient avertis. Le
roi fit même l’honneur d’en signer le contrat, et la reine de venir au souper
et de lui donner sa chemise pour la nuit de noces.
Terrible nuit de noces…
Rustre, violent, autoritaire,
l’homme n’était pas pour plaire à la jeune fille et bien qu’il eut 10 ans de
plus qu’elle, il ne put la contraindre à consommer le mariage, laissant au
matin la belle vierge. Cependant, le couple fit bonne mesure et dissimula le
courroux de la mariée envers son grossier époux pendant les huit jours de fêtes
que l’époux offrit pour son si beau mariage, fort heureux d’avoir trouvé une
fortune qui saurait rembourser ses dettes et payer les pompeuses et coûteuses
fêtes offertes pour ce mariage. Marie-Sidonia avait dès les premiers jours
découverts la tromperie. Les créanciers du marquis se ruaient auprès d’elle
tandis que son mari la pressait de signer des emprunts. Mais en plus de sa
virginité, il ne put la contraindre à délier les cordons de sa bourse.
L’aversion qu’elle avait pour son mari fut de notoriété publique un mois plus
tard…
« Je ne savais pas encore que haïr son mari et pouvoir en
aimer un autre, est presque la même chose...»
Les railleries coururent vite.
Son tuteur,
le duc Villars, que l'on n’avait ni prévenu, et dont on n’avait pas obtenu le
consentement, avait bien porté une plainte, celle-ci fut sans effet. Le
Parlement de Paris ne pouvait défaire un mariage dont le contrat avait été signé
du roi.
Malgré les
déboires du couple – sinon à l’avantage de ces déboires -, la belle-mère avait
programmé d’autres desseins, au détriment de l'honneur de son fils.
Dès les
premiers jours du mariage, elle vint instruire Marie-Sidonia des devoirs
qu’elle aurait à rendre, lui recommandant de bien faire sa cour à M. de
Louvois, espérant de lui faveurs et avancement pour son fils. Ce dernier avait
obtenu sa charge de commandant d’artillerie par les faveurs ; habitant à l’Arsenal de Paris, Marie-Sidonia allait être amenée à rencontrer
régulièrement Louvois. De leur côté, les princesses de Carignan et de Bade
avaient remarqué l’intérêt que Louvois semblait porter à notre belle marquise
et elles étaient décidées d’utiliser la jeune femme pour renforcer leur alliance
avec celui-ci, quitte à sacrifier l’honneur du mari de la marquise…
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François Michel Le Tellier, marquis de Louvois par Pierre Mignard Musée des Beaux-Arts de Reims |
Alors en
Flandre lors du mariage, Louvois vint faire son compliment à Marie-Sidonia dès
son retour à Paris.
« Il était onze heures du soir, les bougies étaient éloignées,
j’étais sur mon lit, il ne vit point, et ne fut avec moi qu’un instant, mais je
le vis assez pour concevoir pour lui des sentiments qui ont paru, dans la
suite, et dont les plus grands malheurs de ma vie ont été la punition. »
Pour
Louvois, une passion était née. Bien qu’il ne s’était rien passé entre lui et Marie-Sidonia, la Princesse de Bade faisait déjà courir en cour des bruits
sur les visites qu’il lui faisait. M. de Louvois profita de ces bruits pour
déclarer sa flamme à l’oreille de Marie-Sidonia, pendant une messe du roi. Sa
belle-mère, alors à ses côté, entendit tout et en fut très ravie.
Cependant
Marie-Sidonia s’était éprise du fils du duc de Villeroy,
cousin de son mari, qui semblait éprouver les mêmes sentiments bien qu’étant
alors amant de la princesse de Monaco.
Villeroy découvrait la jalousie qui naissait en lui. Alors que la belle se
rendit dans son château de Marolles pour la saison de la chasse, Louvois avait
pris le parti d’aller l'y courtiser. Jaloux, Villeroy en informa son mari, le
marquis de Courcelles partit aussitôt à la rencontre de son épouse pour la
conspuer, lui faisant le reproche qu’elle ferait mieux de se consacrer à sa
fortune.
L’épouse de
Villeroy vivait retirée dans son château, laissant libre cours à celui-ci. Le
premier rendez-vous entre Villeroy et la marquise se fit chez l’abbé d’Effiat, à l’Arsenal, pourtant l’un des premiers qui fit la cour à Marie-Sidonia, et
qui en était resté amoureux. Afin de n’être découverts et de détourner les
soupçons, il était convenu que Villeroy continue de faire la cour à la princesse
de Monaco, qui était amoureuse de lui, tandis que Marie-Sidonia entretenait son
amitié avec Louvois, qui espérait beaucoup d'elle. Cependant, l’intrigue fut
découverte. La correspondance de Marie-Sidonia fut dévoilée. Se voyant de la
sorte trompée et humiliée, la princesse de Monaco obtint de la reine que
Marie-Sidonia se retire de la cour. De son côté, Louvois se senti également
trahi, mais Marie-Sidonia sut user de son charme pour se faire pardonner, lui
promettant de ne plus revoir Villeroy, alors parti à la guerre.
Louvois,
pour avoir le champ libre, éloigna de façon très habile le marquis de
Courcelles, l’envoyant loin de Paris et lui faisant même donner par le roi le
commandement de l’artillerie en Flandre, lui ordonnant de s’établir à Tournay
et trouvant tous les subterfuges, avec l’aide de Turenne, pour qu’il ne
revienne pas à Paris.
Cependant,
le retour annoncé de Villeroy à Paris, Marie-Sidonia ne résista pas à la
tentation de revoir cet amant, malgré la promesse que tous les deux avaient
fait à Louvois de ne plus se voir. Le croisant en carrosse, il la suivit à son
hôtel. Elle le conduisit dans sa chambre, et tandis que l’un et l’autre se réconciliaient,
elle assise sur son lit, lui à genoux devant elle, Louvois entra dans la
chambre. Villeroy quitta la chambre sans dire mot, se soumettant à Louvois,
sacrifiant ainsi son amour à sa carrière. Louvois obtint du roi que
Marie-Sidonia soit placée au couvent, sous couvert de sauver l’honneur du mari,
et plus encore par esprit de vengeance. Elle s’y retrouva avec l’épouse du duc
de Mazarin, Hortense Mancini, qui
avait refusé de suivre son époux en Alsace, préférant le couvent. D'un âge
proche, 17 ans pour la marquise, 23 ans pour la duchesse, et de même
tempérament, elles se lièrent d’amitié.
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Hortense Mancini, duchesse de Mazarin par Godfrey Kneller Graves Gallery, Sheffield |
Après
quelques mois d’enfermement, où les deux jeunes filles espiègles rendirent la
vie difficile aux religieuses, la duchesse de Mazarin obtint le droit de retourner
séjourner dans son hôtel parisien et avec elle Marie-Sidonia.
Cette
duchesse était Hortense Mancini, nièce du cardinal de Mazarin, de quatre ans
l’aînée de Marie-Sidonia. A deux souverains, au roi Charles II d’Angleterre et
au duc de Savoie, le cardinal préféra la marier à un homme plus modeste, le duc
de la Meilleraye. Il avait convenu de céder à sa nièce toute sa fortune, tous
ses titres et ses biens à condition que le duc renonce à son nom et prenne
celui de Mazarin. A Paris, elle résidait au Palais Mazarin, qui deviendra plus
tard le « Palais royal » (siège aujourd’hui du ministère de la Culture et de la
Comédie Française). Comme Marie-Sidonia, elle avait beaucoup d'esprit, elle
aimait la vie, la fête, Paris et la vie de la cour ; comme elle, elle avait un
mari jaloux, avare et détestant les mondanités. Comme elle, elle était
considérée comme l’une des plus belles femmes d’Europe. Comme elle encore, elle
dût connaître l'exil pour échapper à son mari, ainsi que nous le verrons plus
tard...
Le marquis de
Courcelles, de retour à Paris, profita de l’absence de la dame de Mazarin pour
s’introduire en son palais et convaincre son épouse de rentrer avec lui ; ce
qu’elle accepta on ne sait pourquoi ou avec quelles promesses. Cependant,
rentrée chez elle, il l’accabla de mauvais traitements, lui interdisant parties
de chasse et sorties dans le monde. Il décida de se venger de ses infidélités
et de prévenir définitivement tout risque de cette nature. Un soir qu’elle
rentra, une servante lui prépara l’eau pour sa toilette. Elle plongea les mains
dans la vasque et les porta à son visage, lui infligeant une cuisante brûlure.
Prise de fureur, elle interrogea sa servante qui refusa de parler, alors, à
l’aide de deux de ses laquais, elle lui fit boire de force l’eau de la vasque.
La servante se tordit de douleurs et s’effondra. Le mari avait fait empoisonner
l’eau de la toilette de Marie-Sidonia, afin de flétrir sa coupable beauté et la
défigurer.
Elle resta
alitée plus de six semaines, six semaines de souffrances avant de plonger dans
une fièvre qui la tint encore plus de quarante jours. On la vit mourante ; on
lui fit administrer l’extrême onction. Pendant tout ce temps, l’époux s’était
montré extrêmement prévenant et inquiet, lui faisant prodiguer les meilleurs soins.
Il est vrai
que la belle, âgée de 17 ans, n’avait pas fait de testament…
Louvois ne
manquait pas de venir s’informer de son rétablissement, la visitant
régulièrement.
Pour sa
convalescence, elle partit s’isoler un mois dans le couvent tenu par sa tante.
Elle revint à Paris, s’ingéniant à renouer avec Louvois : « j’avais pris tant
de goût au plaisir de le tromper que je ne pouvais plus m’en passer. » Avec son
amie la duchesse de Mazarin, elle courut les bals masqués qui animaient Paris
l’hiver, organisés la nuit dans les plus grandes maisons, continuant à se jouer
de Louvois. Les deux amies s’étaient éprises et se disputaient le cœur d’un des
plus beaux galants de Paris, un certain Oder de Cavoye…
Découvrant
que Cavoye allait rendre secrètement visite à Marie-Sidonia, prise d’une
soudaine jalousie, la duchesse de Mazarin révéla tout à son mari qui provoqua
en duel le galant, malgré l’interdit royal. Tandis qu’ils croisaient le fer,
les deux hommes s’entendirent sur une issue heureuse pour eux mais qui devait
plonger la duchesse de Mazarin dans le déshonneur et qui eut pour effet son
enfermement dans le château de Mayenne. De son côté, en mai 1668, le marquis
Charles décida de placer Marie-Sidonia en résidence surveillée dans son château
de Courcelles, dans le Maine, sous la bonne garde de sa mère. Le mois suivant,
la duchesse de Mazarin s'évadait pour s'enfuir auprès de sa sœur à Rome.
Les rumeurs
du duel parvenant aux oreilles du roi, les deux hommes furent appelés en Parlement
de Paris et une enquête fut menée. L'arrêt condamna le marquis à deux ans
d'internement en la Conciergerie, la prison royale sur l'île de la Cité où les
deux duellistes furent enfermés deux années, jusqu'en juillet 1670.
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La Conciergerie, Paris |
Éloignés
l'un de l'autre, Marie-Sidonia tomba enceinte, grossesse qui fut révélée en
janvier 1669. Pour son plus grand malheur...
Comment
cela fut-il possible ? Comment la
belle, placée sous la surveillance de sa belle-mère, avait-elle pu commettre un
tel affront et déshonneur à son époux emprisonné ?
Dès qu’il
apprit la nouvelle de sa grossesse, le marquis fit envoyer plusieurs soldats
garder de près Marie-Sidonia, la plaçant sous étroite surveillance sans qu'elle
puisse communiquer avec qui que ce soit.
Qui pouvait
donc être le séducteur ?
Les soupçons se portèrent sur un jeune page de 23 ans
qui avait libre accès au château.
Le 3 avril
1668, le marquis porta plainte au Parlement de Paris contre son épouse pour sa
vie dissolue dont elle était devenue grosse. Le Lieutenant Criminel de
Château-du-Loir fut désigné pour mener l’instruction. Elle fut visitée par deux
médecins du roi et une sage-femme pour constater de son état. Le constat fait,
il fut conclu que Marie-Sidonia soit transférée à Château-du-Loir, ne pouvant
rester dans la maison de celui qu'elle avait déshonoré, et son présumé
séducteur emprisonné.
Le 18 juin
le juge accompagné d’une bonne garde alla chercher la marquise au château de
son époux. Jugée intransportable par les médecins, sur le point d’accoucher, le
juge lui fit subir l’interrogatoire dans le château même au cours duquel elle
avoua que cet enfant n’était pas du fait de son époux mais d’un autre homme
dont elle ne voulait pas déclarer le nom. Alors que le juge décida, au vu de
l’état de la marquise, de tenir le procès au château, le marquis protesta
depuis sa prison et exigea que ce procès se fasse en l’auditoire de
Château-du-Loir.
Le 1er
juillet, bien que les médecins la déclaraient intransportable, Marie-Sidonia
fut emmenée dans un carrosse. Cependant, se trouvant mal, ils durent rebrousser
chemin, la transporter dans une chaise pour la remettre dans son lit. Le juge
trouva un lieu proche, hors du château, pour tenir tribunal, estimant que
Marie-Sidonia avait toutefois assez de forces pour y être transportée et y
accoucher étant donné que l’enfant bâtard ne devait pas venir au monde dans le
château du marquis.
Le 4
juillet, elle y fut transportée et accoucha d’une fille le 9 juillet. L’enfant
fut aussitôt baptisée, inscrite sous le nom de sa mère et de père inconnu ; elle fut mis en nourrice chez un habitant du village où elle mourut 5 semaines plus
tard.
Le 11 août,
après que la marquise se soit reposée, elle fut transportée à Château-du-Loir,
où elle serait gardée chez un maître chirurgien en attendant son procès.
Son présumé
séducteur avait réussi à fuir et ne s’était pas présenté au procès.
C’est le 19
août que la marquise donna sa version dans une requête au Parlement, déclarant
son époux être le père. Selon elle, son mari avait soudoyé son geôlier pour
qu'il puisse aller voir sa femme dans son château, et constater si elle était
sous la bonne garde de sa mère. Venu secrètement au château, il l’aurait prise
de force et s’était retourné à la Conciergerie lorsqu’il s’était assuré qu’elle
fut tombée enceinte. Le complot avait pour but d’accuser la marquise d’adultère
et de s’emparer de ses biens et de sa fortune. Elle avoua avoir déclaré qu’il
n’était pas le père sous la menace et les contraintes dont elle avait fait
l’objet. De fait, l’instruction avait été bien expéditive, partiale et surtout
sans aucun respect du droit et de la justice, et de son état. Ainsi, elle protesta de nullité
tous les actes qu’elle avait pu signer, signature obtenue sous la contrainte.
Le 7
septembre, Marie-Sidonia subit un nouvel interrogatoire au terme duquel elle
fut déclarée coupable d’adultère. Le séducteur fut condamné par
contumace à être pendu à une potence qui serait dressée sur la place du marché
de Château-du-Loir, sentence exécutée en effigie du fait de sa fuite, ses biens
confisqués. Marie-Sidonia fut condamnée à être enfermée deux ans en un couvent
royal près de Château-du-Loir ; si au terme de ces deux années son époux ne
voulait pas la reprendre, elle devait y terminer ses jours. Elle fut privée de
sa dot et de tous les biens qu’elle avait apportés en mariage pour être remis à
son époux. Elle disposerait, cependant pour payer les frais de sa retraite et
le train d’une dame de son lignage, pour payer sa pension à l’abbaye et les
gages des filles qui seraient attachées à son service, d’une somme de 3600
livres par an.
Les deux
époux firent appel de cette sentence ; le Parlement ordonna le transfert de
Marie-Sidonia à la Conciergerie, le 13 septembre, puis son déplacement le 16 au
Petit-Châtelet, ne pouvant être enfermée à la conciergerie du fait que son
époux y était.
Le
transfert de Marie-Sidonia au Petit-Châtelet n’eut pas lieu.
Dans la
nuit du 16 au 17 septembre, aidée de ses amis, dont le chevalier de Rohan, qui
avait déjà organisé deux ans auparavant l’évasion de la duchesse de Mazarin,
s’évada, déguisée en abbé.
Elle se
rendit au Luxembourg.
Le marquis,
au bénéfice de cette évasion obtint le 19 mai 1670 une sentence de la cour du
Parlement en sa faveur. La pension accordée à sa femme était réduite à 2.000
livres ; par ailleurs elle devrait être rasée, voilée et vêtue comme les autres
religieuses pour le reste de ses jours. Cependant, même prononcé par contumace,
l’appel de son épouse le privait de l’exécution de la sentence et des biens
qu’il convoitait. Le marquis était la risée et sujet aux quolibets dans les
repas et conversations de salons, rapportés par de nombreuses personnes de
lettres dont la marquise de Sévigné.
Marie-Sidonia
ne resta pas très longtemps éloignée de Paris. Elle y revint, hébergée par une
amie, menant une vie joyeuse, en compagnie d’amis tels que Saint-Remy ou Rohan,
prenant plaisir avec quelque amant, dont François Brûlard du Boulay. « Je veux
jouir de la perte de ma réputation » disait-elle. La rumeur de son retour
parvint aux oreilles de son époux et la fit arrêter. Elle fut conduite de nouveau à la
Conciergerie le 28 avril 1672 et mise au cachot, le même dans lequel fut
enfermé le régicide Ravaillac, n’ayant pour couche que de la paille au sol.
Deux jours plus tard, on lui attribua une cellule plus digne de son rang.
Le marquis
reprit aussitôt la procédure engagée contre sa femme, mais elle apprit que son
présumé séducteur vivait tranquillement à l’arsenal ; il était devenu, sans
être inquiété par son époux, capitaine aide-major dans un régiment. Cette
découverte accréditait sa thèse de complot. Elle le fit arrêter le 14 mars.
Après avoir été interrogé, ils furent confrontés trois fois de suite, les 29,
30 et 31 mars, et bien que ces confrontations montraient plutôt une complicité
entre son époux et son présumé séducteur, les hommes de justice étaient plus
portés à donner raison au mari. Sentant son affaire prendre une mauvaise
tournure, elle envisagea une nouvelle évasion, aidée par quelques amis, dont du
Boulay, et des membres de sa famille.
La marquise
recevait dans sa prison, y donnait des soupers et disposait d’un laquais et
d’une femme de chambre. Au terme d’un de ces soupers, le samedi 4 mars 1673,
non sans avoir fait porter à son geôlier quelques bons plats et bouteilles,
dans la confusion créée par la sortie de ces dames et gentilshommes qui
devaient quitter les lieux à 10 h 00, Marie-Sidonia suivit la petite troupe,
déguisée en laquais et tenant la traîne de la robe d’une dame ; sa
servante prit sa place dans son lit. Ils trompèrent la vigilance de ses
gardiens et, arrivés dans la cour, elle fut emportée dans le carrosse d’une
parente, la duchesse de Villars. On alla la cacher dans une carrière de pierre
souterraine abandonnée, à quelques lieues de Paris, habitée par un couple qui
semblait habitué à de telles choses. D’ailleurs, lors de la 3e nuit qu’elle y
passa, il y eut l’accouchement secret d’une dame de haut rang.
Ce n’est
que le lendemain, à une heure de l’après-midi, que l’évasion fut découverte. La
servante avait feint de dormir toute la matinée. Le geôlier, venu lui apporter
le déjeuner, tirant les rideaux de sa chambre, constata avec effarement la
substitution. Il mit aux fers la servante. Elle fut enfermée deux mois en
prison puis elle fut relâchée. Fidèle à sa maîtresse, elle alla la rejoindre
dans son exil.
Cette
évasion alimenta toutes les conversations parisiennes, et le marquis en fut de
nouveau la risée. Le procès fut suspendu et face à ce cas inédit, il fut décidé
d’en référer directement au roi afin de savoir quel jugement adopter. Un nouvel
arrêt fut prononcé le 17 juin 1673, plus favorable à Marie-Sidonia : elle était
condamnée à 100.000 livres de dommages et intérêts, abandonnant sa condamnation
à la réclusion à vie dans une abbaye. Une nouvelle condamnation par contumace
plus favorable à la précédente était un fait rarissime dans les annales de la
justice… Sans doute la sympathie qu’avait l’opinion publique pour la jeune
marquise n’y était pas pour rien. Le séducteur vit aussi sa précédente
condamnation révisée ; il n’était plus condamné à mort mais au bannissement
pour trois ans des provinces d’Anjou et du Maine, et de Paris, et son amende
fut considérablement réduite.
La marquise
Marie-Sidonia avait passé 8 jours cachée dans les profondeurs de la carrière
souterraine. On vint la chercher pour l’emmener dans une demeure du duc de
Villars, où elle resta 48 h, avant de partir pour une nouvelle destinée, la
Franche Comté. Elle fit le voyage déguisée en homme, portant une belle perruque
blonde, dans le carrosse de la duchesse de Mercœur. Elle fut accueillie
quelques jours par une parente au château d’Athée avant d’entrer dans un
couvent à Gray.
La reprise
de la guerre entre le roi de France et le roi d’Espagne, en mai 1674, obligea
Marie-Sidonia à quitter le convent pour revenir au château d’Athée, château
qui, de par sa position frontalière, fut rapidement visité par les officiers
espagnols et en devint même un lieu de réunion, pour ne pas dire de
rendez-vous. Ainsi, Marie-Sidonia put entendre l’exposition de quelques plans des
Espagnols qu’elle s’empressa de révéler secrètement aux généraux français,
faisant avorter ces plans de l’ennemi ; le roi informé des services rendus par
Marie-Sidonia la fit complimenter par Louvois qui fut chargé de lui transmettre
10.000 écus de récompense.
La guerre
faisant rage, les deux jeunes femmes furent contraintes de quitter Athée pour
se rendre à Dijon, et y revenir la guerre achevée, avec la conquête de la
Franche-Comté.
Cependant
devenue française, la Franche-Comté entrait sous la juridiction du roi de
France ; Marie-Sidonia ne pouvait plus y échapper aux poursuites engagées à son
encontre.
Elle en
prit conscience lorsque deux cavaliers se dirigèrent vers le château pour se
saisir d’elle. La marquise et sa cousine eurent tout juste le temps de prendre
quelques affaires avant de s’enfuir par une porte arrière du château à travers
les champs et les bois. Bloquée par un ruisseau en crue, elles trouvèrent un
colporteur qui se proposa de les porter pour le leur faire traverser. Ayant la
marquise sur ses épaules, il trébucha et tous deux tombèrent dans l’eau ; le
colporteur parvint tant bien que mal à achever la traversée avec la marquise.
Sa compagne de voyage, refusant de tenter la même expérience, décida de
rebrousser chemin et de retourner à son château, abandonnant la marquise sur
l’autre rive. L’homme la conduisit dans une ferme proche, afin qu’elle y trouva
asile.
La marquise
avait fui sans prendre le temps de se changer, portant une robe légère de
taffetas complètement trempée, la robe lui collait au corps, vision
provoquant l’hilarité ou la curiosité ; insistante de ceux qui la virent, arrivée
à la ferme. Ils s’imaginèrent que c’était une jeune none défroquée fuyant son
couvent.
Après un
souper très frugal, on lui donna un lit dans le grenier. Trois jours plus tard,
le fermier partit aux nouvelles, qu’il rapporta à Marie-Sidonia. Les deux
cavaliers étaient encore à sa recherche ; ils appartenaient au régiment de son
mari, qui était devenu colonel de cavalerie. Ils avaient fouillé de fond en comble le château d’Athée et poursuivaient leurs recherches dans la
région. Le fermier proposa à la marquise de la conduire en un asile où elle
serait en sécurité, une fonderie toute proche où le maître pourrait
l’accueillir. Elle y fut bien reçue, en attendant que les cavaliers à sa
recherche quittent la région. Alors deux gentilshommes et sa demoiselle de
compagnie revinrent la chercher pour la ramener au château d’Athée.
Alors
qu’elle était revenue secrètement à Paris, avant sa deuxième incarcération,
Marie-Sidonia avait noué une nouvelle intrigue amoureuse avec François Brûlard
du Boulay ; à cette époque, il se remettait d’une passion amoureuse qu’il avait
eue avec Armande Béjard, la veuve de Molière. Du château d’Athée, elle lui écrivit,
l’informant de son désir de se rendre en Savoie, lui demandant qu’avec ses amis
il plaide sa cause auprès de la duchesse de Savoie pour avoir son agrément.
Elle décida d’attendre cet agrément à Genève. Elle s’y rendit avec deux femmes
de service et un laquais.
Marie-Sidonia
arriva à Genève le 5 novembre 1675, après quatre jours de voyage éprouvant. Se
rendant à l’hôtellerie des « Trois-Rois », elle fit demander l’homme de lettre
et historien Gregorio Leti qu’on lui avait recommandé. Ce dernier se rendit
rapidement auprès d’elle. Il rapporta dans une lettre au duc de Giovinazzo,
ambassadeur d’Espagne à la cour de Turin son entrevue :
« J'avoue à votre excellence qu'en voyant une si grande beauté
je restai tout ébloui, d'autant plus qu'avec une gracieuse politesse elle
s'avança vers moi pour me saluer en m'embrassant suivant l'usage français et me
dit : Ne croyez pas, monsieur Leti, que je sois ici pour quelque mauvaise
affaire ; la raison est que mon mari me veut et que je ne veux pas de lui.
Alors je répondis en plaisantant : Certes, madame, il y en a bien d'autres qui
vous voudraient, parce que votre beauté est trop grande pour être le partage
d'un seul. »
Voici le
portrait qu’il fit d’elle :
« Ses yeux sont deux
étoiles qui semblent prouver que son visage a été fait dans les cieux plutôt
que sur la terre ; il n'y a point de cœur, tel glacé qu'il puisse être, qui ne
se glorifie de se soumettre à ces yeux, qui frappent doucement, mais qui font
des plaies plus profondes que n'en firent jamais les plus cruels tyrans ; ce
sont des dards qui blessent, des rayons qui éblouissent, des flammes qui
brûlent, des bêtes féroces qui déchirent, des lances qui tuent. Certes, ils
sont beaux ; à leur première vue, j'ai vu rajeunir des Xénocrates,
s'agenouiller des Momus, chanter les Aristarques, s'attendrir les Gâtons, et
les Solons pousser du fond du cœur des soupirs redoublés.
Que dirai-je maintenant
de ces doux entretiens dans les réunions, de ce trésor de toutes les grâces, de
ces lèvres de corail, de ces dents plus belles que les perles, de ce délicieux
sourire, enfin de la plus belle bouche que la nature ait jamais formée ! II
faudrait être amant comme Myrtil, pour pouvoir décrire suffisamment bien la
bouche d'une autre Amarillys. Celui qui va la visiter ne redoute que son
Silence ; chacune de ses
paroles forme une nouvelle âme dans le sein de celui qui l'écoute ; la douceur
du nectar coule de cette adorable bouche ; elle distille la saveur de la manne,
surpasse le goût de la datte, la suavité du miel et la salutaire substance du
sucre. Cicéron, qui savait par expérience tout ce que valait la bouche
d'Aristote, écrivait : que de cette bouche découlait un fleuve d'or à chaque
parole.
Eh bien ! je ne crains
pas de dire que chaque parole qui tombe de la bouche de cette dame produit une
mer de pierres précieuses. Que ceux qui veulent oublier leurs peines aillent
l'écouter, car elle est semblable au temple du dieu des Lydiens, dont on disait
que, lorsqu'il s'ouvrait, il ôtait à tous les chaînes des soucis et des plus
grands chagrins. Il semble qu'autour de cette pèche de perles on recueille les
grâces les plus remarquables ; chacune de ses paroles étant une grâce, il n'est
donc pas étonnant que tous les cœurs se groupent autour d'elle, et que les
pensées de ceux qui l'écoutent ne puissent plus la quitter. Je dirai de plus
qu'il s'échappe de sa bouche des chaînes d'or comme il en sortait de celle de
Mercure pour enchaîner ses auditeurs ; et ce qui le prouve, c'est que personne
ne pourrait la quitter si on ne s'y trouvait nécessairement forcé par la
crainte de se rendre importun. Oh ! Mon Dieu, quels frais sourires ! Quelles
fleurs agréables ! Quelles paroles embaumées ! Quel paradis terrestre ! On voit
semé sur son visage quelques petits grains de petite vérole qui semblent
l'émail de pierres précieuses sur une figure d'albâtre ; je crois que la nature
laissa ces signes gracieux pour prouver qu'elle avait contribué à la formation
de cette rare beauté ; sans eux, il y en aurait eu beaucoup certainement
qui l'auraient encensée comme une œuvre plus céleste qu'humaine.
Mais que dirais-je de la
voie lactée de cette dame qui conduit au cœur? Comment en parler, de quelles
expressions me servir ? Je suis déjà trop âgé, trop endurci au travail pour
décrire avec mon encre la blancheur d'un sein mou comme du coton enfermé dans
une boîte ; je parle de ce sein né sur cette Seine qui donne la vie à tant de
ruisseaux bordés de lys. Oh ! Quelle poitrine ! Quelle gorge ! Oh! Quelle porte
d'or et doit-on s'étonner que pour l'enlever il se soit trouvé tant de Jasons
qui se soient risqués à combattre contre le dragon de la jalousie et contre la
vengeance d'un mari ? En disant que, des pieds à la tête de cette dame, ce ne sont
que merveilles de la nature, je dirais peu et peut-être ne serais-je pas cru ;
et pourtant il est certain que sa beauté, qui est un miracle du siècle, ne
forme que la moindre partie de ses mérites (…). »
Leti trouva
à la marquise un logement le temps de son séjour à Genève. Il lui apprit l’italien
; aimait se promener dans la ville en sa compagnie et être vu ainsi à ses côtés
aux yeux des passants qui se pressaient pour la voir et l’admirer. Bientôt, une
petite cour se forma autour d’elle, venant la visiter, et se faisant adopter
par la société genevoise. Elle partageait son temps à la chasse, à sa
correspondance, en particulier avec du Boulay, qui vint la voir plusieurs fois
à Genève. Cependant, ses obligations militaires l’empêchaient de rester près d’elle
et l’obligeait à s’en éloigner. Tandis qu’il compromettait sa fortune par les
dépenses qu’entraînaient les services rendues à la marquise, sa carrière
militaire, renonçant à l’avancement, et se refusait à de riches mariages, le
temps de ces longues absences, Marie-Sidonia se laissait aller à quelques
nouvelles intrigues amoureuses.
Las de ses
infidélités, du Boulay rompit et envoya des lettres diffamantes à toutes la
société genevoise qu’elle fréquentait. Elle dut quitter Genève pour se rendre à
Annecy, où elle se retira dans un monastère, attendant toujours l’agrément de
la duchesse de Savoie. Ne voulant rester trop longtemps à la charge des
religieuses, elle se rendit dans un couvent à Avignon où elle était sous la
protection du vice-légat, sur la recommandation de son oncle, le duc de
Villars.
Apprenant
que la duchesse de Mazarin avait obtenu une pension du roi d’Angleterre, après
être passée par Munich, elle décida de s’y rendre, incognito, espérant les
mêmes faveurs. Elle alla d’abord en Bretagne, puis à La Rochelle et de là gagna
Jersey. Le 17 juillet elle était à Londres. Munie d’une lettre de
recommandation pour l’ambassadeur de France auprès du roi Charles II, M.
Courtin, ce dernier s’empressa d’aller lui rendre visite et en informa de
ci-tôt Louvois.
Rapidement,
sa beauté provoqua la jalousie des femmes de la cour. La duchesse de Mazarin,
qui fut autrefois son amie avant qu’elle ne se brouille pour le beau marquis de
Cavoy fit tout pour l’éviter et refusa même de la recevoir. Faute de ressources,
elle dut quitter Londres pour retourner début septembre au couvent d’Avignon
qu’elle avait quitté.
Elle y
apprit le décès de son mari d’une pleurésie le 26 août 1678.
A la
nouvelle du décès de son époux, Marie-Sidonia décida de se rapprocher de Paris,
afin de mettre un terme aux procédures judiciaires qui avaient été engagées
contre elles et pour réclamer la restitution de ses biens dont les héritiers du
marquis s’étaient emparés.
Sa présence
à Paris était indésirable pour quelques puissants et elle ne put, comme elle
l’aurait souhaiter, se rendre dans un couvent parisien, l’archevêque de Paris,
à la demande de son neveu, le maréchal de Villeroy, ayant interdit tout couvent
de la recevoir.
Persuadée,
malgré les avertissements qu’elle ait pu recevoir, qu’elle n’avait plus rien à
craindre pour sa liberté, Marie-Sidonia s’établit dans un hôtel et y monta une
maison digne de son rang, avec équipage, domestiques, dans une maison louée
près de la rue Saint-Antoine. Elle fit rapidement connaissance des dames de qualité
de son voisinage et devint même assidue de la maison des Jésuites qui était
dans la même rue en véritable pénitente.
Cependant,
les héritiers de son mari ne perdaient pas espoir de pouvoir mettre à exécution
la condamnation par contumace qui pesait encore sur elle. Le 21 décembre 1678,
tandis qu’elle montait en carrosse pour aller entendre la messe chez les
Jésuites, des soldats firent irruption dans la cour de son hôtel. L’intendant
de sa maison fit tout pour les retarder, le temps qu’elle aille se cacher. Elle
se réfugia sur le toit entre deux cheminées où, après deux heures de fouille de
la maison, elle fut découverte et menée sans ménagement à la Conciergerie. La
marquise était cette fois-ci particulièrement bien gardée, ne pouvant
communiquer avec l’extérieur. Elle trouva moyen, grâce à l’intendant de sa
maison qui avait pu la visiter, de faire avertir les membres de sa famille dont
son oncle le duc de Villars, cependant absent de Paris, ou encore sa tante
abbesse du couvent où elle avait passé son enfance.
Le frère du
défunt marquis s’estimait avoir hérité des jugements prononcés au profit de ce
dernier et reprit les poursuites à l’encontre de sa belle-sœur. Il présenta une
requête le 9 janvier 1679. Il n’entendait pas perdre le bénéfice d’une grosse
fortune dont il avait profité jusqu’alors, tandis que la marquise était en
exil.
Après trois
semaines de détention des plus strictes, elle put enfin voir librement ses
avocats et conseils. Amis et famille s’engagèrent aussi dans des démarches
auprès du Parlement de Paris. Son sort, alors s’assouplit et elle put quitter
sa cellule pour louer et occuper un appartement de deux chambres plus
spacieuses et salubres. Elle reprit avec elle sa fidèle servante et son
laquais, et put recevoir. Les geôliers et gardiens étaient gratifiées de menus
présents et « étrennes », sans que ces derniers relâchent leur vigilance,
n’ayant pas oublié son évasion.
Pour
occuper son temps, elle se mit à la tapisserie et à la broderie, faisant venir
quelques habiles ouvrières de Paris pour l’aider. Avec la compagnie qui venait
la visiter, elle composait des vers ou de la prose, énigmes et charades. Ils
consacraient aussi beaucoup de temps à la lecture. Elle écrivait :
correspondance, avec ses amis et sa famille, courriers pour son procès ou
encore rédigeait ses mémoires, contant ses aventures, ou plutôt ses
mésaventures. Elle fit carnaval, et carême. À cette occasion, elle obtint
l’autorisation d’aller visiter les prisonniers dans leurs cachots comme il
était de coutume de faire pour une grande dame. Elle allait encore presque tous
les jours à la messe.
Elle reçut
la visite de Gregorio Leti, alors de passage à Paris.
Son séjour
à la conciergerie dura un an.
Le 20
décembre 1679 débutait son jugement. À son audition, elle fit grande impression.
L’arrêt du
jugement tomba le 5 janvier 1680, condamnant la marquise à payer soixante mille
livres à titre de dommages et intérêts au frère de son défunt époux, somme
d’autant plus considérable qu’on n’avait pas compté ce que le marquis et sa famille
avaient dépensé sur la fortune et les biens de la marquise. Cependant, la
marquise en fut très heureuse car par ce sacrifice considérable elle allait
retrouver sa liberté et mettre un terme à ce procès qui n’en finissait pas. Il
lui fallut s’engager à vendre une bonne partie de ses terres et biens mais deux
jours plus tard, le 7 janvier 1680, elle sortait libre de la Conciergerie.
Elle reloua
un hôtel, remonta une maison et un train.
Elle
reparut cet hiver-là dans quelques bals masqués.
On ne sait que
peu de choses sur les mois qui suivirent.
Elle alla
souvent, semble-t-il, séjourner dans le château de ses ancêtres, à Marolles.
En 1685,
elle fit, comme sa mère, un mariage morganatique, épousant un capitaine de
dragons.
Elle décéda
la même année, à 35 ans.
Les
mauvaises langues diront de la vérole…