Du château et des défenses de Bar-sur-Seine à l’époque
médiévale, à défaut de fouilles archéologiques, on ne sait finalement que peu
de choses; les sources écrites sont
tardives, datant essentiellement de l’époque bourguignonne, et relativement
rares.
Carte postale ancienne des restes de l'ancien château des comtes de Bar ; à droite, nous apercevons un puissant contrefort dont il subsiste encore la base (collection personnelle).
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L'escalier contourne les restes du contrefort ; l'entrée du château devait être juste derrière celui-ci, une entrée à "pont dormant", selon les sources, c'est à dire sans pont-levis. Photo : Jacky Provence (07/03/2003). |
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La tour de l'Horloge et le gros contrefort sous un angle différent (collection personnelle).
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Les études, parfois les plus récentes à ce sujet, se contentent
souvent de reprendre ce que des "historiens romantiques" du XIXe siècle avaient avancé, et tout particulièrement Lucien Coutant ,
avec bien des contradictions et des erreurs. Les premières descriptions et
représentations sont de la fin du XVIe siècle et du début du XVIIe siècle, alors que le château était en partie démantelé. À cette époque, les
sources sont plus nombreuses et nous permettent de mieux comprendre comment
s’organisait la défense de la cité. Le dernier siège qu’elle avait soutenu,
avant ceux des Guerres de religion, datait de 1475. Depuis ce siège, le château
avait été laissé à l’abandon et les fortifications de la ville peu entretenues, ne présentant plus, avec le retour du comté dans la couronne de France, la place stratégique qu'elle avait eu précédemment entre Champagne et Bourgogne.
Une position stratégique sur la vallée de la Seine
Bar-sur-Seine est placée dans un site de passage
stratégique. La Seine prend sa source à près de 80 km au sud, sur le plateau de Langres, avant de traverser
le Châtillonnais et d'entrer dans la Côte des Bars au niveau du Mont Lassois (Vix). Se
frayant une vallée dans le plateau, la Seine rencontre la résistance de
l'armature calcaire du Portlandien qui l'oblige à rétrécir sa vallée avant de
s'ouvrir largement dans la Champagne Humide. C'est dans ce rétrécissement,
juste avant cet élargissement, que Bar-Sur-Seine est née, protégée à l’ouest par
un versant de vallée abrupt et à l’est par la rivière, ce dispositif donnant
son nom à la ville : la "barre" sur la Seine.
La Seine est une réelle
défense sur toute la longueur est de la ville. Les événements de l’hiver
1591 en témoignent, lorsque la rivière gela. Jacques Carorguy rapporte le fait
dans ses mémoires :
…toute la riviere de Seine fut
tellement gelée et glacée, et, dez le premier jour de janvier, que chascun y
passoit fort à son ayse. Et de peur d’encourir fortune par cest endroict là,
tous les habitans ou la plus grand part se meirent à rompre en morceaulx
ladicte glace avec des coignees et aultres engins propres à ce faire, tant que
lesdicts glasons s’en alerent tous à val l’eaue et en fusmes delivrez des
menasses de ceulx de Chaource par ce moyen là .
La Seine gelée, la ville devenait vulnérable sur toute cette
partie.
Bar-sur-Seine est encore un site stratégique posé à l'aval de confluences successives ; plus au sud, le fleuve grossit de la Laignes (à Polisy), de l'Ource (à Villeneuve) et de l'Arce (à Merrey), petites vallées qui ouvrent des voies naturelles vers le Barsuraubois, pour l'Arce, et la Bourgogne en plus de la Seine (pour l'Ource et la Laignes).
De fait, depuis les premiers
temps historiques, sinon protohistoriques, la Seine constitue un axe de circulation important, comme
l’attestent les découvertes archéologiques dont les plus remarquables sont
celles de Vix, au Sud, et celles de Lavau, au Nord. La ville occupe une
position clé sur cette route, la contrôlant au rétrécissement de la
vallée. Elle s’est développée au carrefour d’un axe principal sud-nord, déjà emprunté par les Grecs sur la route de l'étain, qui
suit la vallée de la Seine, et au-delà relie le Bassin Parisien au Sillon
Rhodanien (Manche/Mer Méditerranée), et d’une route qui vient de l’est, de l’autre côté de la Seine, en passant à l'époque par le Val Puisard, de
Vendeuvre-sur-Barse et Brienne-le-Château. Ces routes forment les deux
principales rues de Bar-sur-Seine : la « Grande Rue » et la « rue
du Pont ».
Une ville dominée et contrôlée par le château comtal

Le plan montre bien comment le château domine parfaitement
la ville primitive qui s’est développée autour de ce carrefour, le « bourg
sous chastel » et autour de l’église et du prieuré, le quartier appelé «
Bourg de la Trinité ».
Le donjon et plus tard la Tour de l’Horloge (qui
n’existait pas encore au XIIIe siècle), dominaient la rue des Fossés. Elle
était la limite sud de cette ville primitive, défendue seulement d'un fossé et
de palis, selon les textes de l'époque.
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Cette carte postale ancienne montre bien comment la Tour de l'Horloge est dans l'axe de la rue des Fossés, rue réalisée sur les anciens fossés comblés dans les années 1540. Ce fossé, renforcé de "palis", ou palissade de bois, était la limite sud de la ville avant son extension après Milon IV en direction de l'Hôtel-Dieu. |
Au milieu de la muraille est du château, deux tours rapprochées engagée dans le mur surplombent la rue du Pont et surveillent la place du marché au blé. Il en
reste les ruines encore bien visibles.
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Les restes d'une des deux tours de la muraille est, dominant la ville, face à la "rue du Pont". Photo : Jacky Provence (07/03/2007)
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A la verticale de l'une de ces deux tours, celle la plus au sud, nous nous rendons bien compte comment ces tours se placent bien dans l'axe de la "rue du Pont" (rue de la République), du pont de la Seine et au-delà du Val Puisard, bien moins couvert de forêts à l'époque. Photo : Jacky Provence (28/06/2004) |
Enfin, la tour nord du château, dont il ne reste que quelques traces, domine la
porte de Troyes et le parvis (et cimetière) de l’église.
De la hauteur de ce
château, le comte contrôlait toute la vallée et la navigation sur la
Seine et pouvait surveiller les chemins et routes qui arrivaient à l'est, de Bourguignons longeant la rive droite de la Seine, de la vallée de l'Arce ou du plateau par les différents vals, en particulier du val Puisard.
Le château, un site en éperon barré
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Le plan cadastral de 1835 montre les anciens chemins que nous avons représentés ici. Ils empruntaient les vals qui encadraient l'éperon rocheux naturel sur la pointe nord duquel s'élevait le château, se rejoignant plus au sud à Notre-Dame du Chêne. À noter, ce plan représente encore un chemin très intéressant : celui qui longe la muraille ouest de la ville, au pied de la côte et s'arrêtant au niveau de la muraille de Courbenault. Depuis, ce chemin a été comblé par les débris de la côte érodée, provoqués par la gélifraction de la roche nue. C'est cette gélifraction qui a, par ailleurs, eu raison d'une grande partie des murailles de l'ancien château et continue de les faire disparaître.
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Par l'action de la gélifraction, les murailles, non protégées de la pluie, continuent à se dégrader inexorablement. Lierre, ronces, racines diverses accentuent le phénomène. Photo : Jacky Provence (07/03/2003)
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Le château occupe le site sur le modèle d'un « éperon barré » : il épouse un éperon naturel détaché du versant de la vallée,
ayant une très forte pente à l’ouest, creusée par un vallon sec ("la Voie Creuse"), et plus forte
encore à l’est, surplombant la vallée de la Seine. Le côté sud du triangle, qui le rattache
au plateau, est protégé par un grand fossé sec d'une vingtaine de mètres creusé dans la roche (et plus tard d'une basse-cour) qui était
surmonté par le point culminant de cet éperon rocheux (appelé "motte" par les auteurs anciens) sur lequel a été bâtie une puissante muraille avec une tour d’angle à chaque extrêmité et dominée en son centre par un donjon quadrangulaire, dont on ignore la hauteur,
élevé sans doute dès le XIIe siècle sur la partie la plus haute de cet éperon. Ce donjon est appelé la « Tour au Lyon » par des textes anciens. Alphose Roserot nous apprend que des fouilles avaient été réalisées dans les années 1860 et les assises du donjon avaient été retrouvées. Son plan, selon Roserot, est rectangulaire de 25 mètres sur les côtés ouest et est, et de 20 mètres sur les côtés nord et sud. Les comptes des Ducs de Bourgogne évoquent que dès leur entrée en possession du château, en 1424, sont réalisés des travaux importants, en particulier pour rechausser le mur allant du donjon, depuis la poterne, jusqu'au mur de la ville[10].
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Tour à l'angle sud-ouest du château. Photo : Jacky Provence (07/03/2003)
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Les restes de la poterne placée au pied du donjon quadrangulaire. Photo : Jacky Provence (20/03/2007)
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Côté sud du château. Il était dominé par le donjon quadrangulaire (la "Tour au Lyon"), sans doute les bases de muraille que l'on aperçoit. A gauche de ce pan de muraille, les restes de la poterne. Photo : Jacky Provence (07/03/2003)
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Au début du XIIIe siècle, le comte Milon IV
renforça le donjon primitif et donna au
château son aspect de forteresse, couvrant la ville. Dans le même temps, dans un lieu au sud de la
ville, il fondait l’Hôtel-Dieu,
alors de retour de pèlerinage à Jérusalem. Par la suite, sans doute vers le
milieu du XIIIe siècle, sous les comtes de Champagne, devenus comtes
de Bar-sur-Seine en 1227, une muraille fut construite agrandissant
considérablement la ville au sud en intégrant l’Hôtel-Dieu. A une date encore
indéterminée, peut-être sous les ducs de Bourgogne, au XVe siècle, une muraille "sur Corbenaulx" allait relier la ville au château au niveau de la
Tour de l’Horloge, dans le prolongement de la rue des fossés. Elle fut
renforcée d’une demi-tour, mentionnée "demy rond sur Corbenaulx", placée
en contre-bas de la Tour de l’Horloge sous les ducs de Bourgogne, complétant la défense de l'entrée du château.  |
"Demy rond sur Corbenaulx", vu de l'extérieur. Photo : Jacky Provence (25/02/2002)
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"Demy rond sur Corbenaulx", vu de l'intérieur. Photo : Jacky Provence (03/09/2000)
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Au cours des XIVe et XVe siècles, le côté sud du château est renforcé d'une basse-cour quadrangulaire dont il reste encore des traces dans les bois. Jean de l'Auxerrois, à la fin du XVIe siècle ou au début du XVIIe, repris par le P. Nicolas Vignier, la décrit ainsi :
La bassecourt du chasteau, toute quarrée, ayant de chaque face quatre-vingts pas, paroissoit une seconde forteresse, estant environnée de long fossez, creusez dans la roche, comme ceux du chasteau, de son costé...
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Restes de l'ancienne basse-cour. Photo : Jacky Provence (25/03/2002)
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Dans le même manuscrit du P. Vignier, Jean de l'Auxerrois décrit le château, hors basse-cour, comme ayant la forme d'un triangle isocèle dont les deux côtés ayant leur pointe au nord mesureraient 160 pas et le 3e coté 80 pas, comme les côté de la basse-cour qui lui fait face de l'autre côté du grand fossé. L'ensemble des bâtiments trouvait sa place à l'est du château, côté ville. La salle basse qui subsiste en est un des derniers vestiges. Il y avait encore une chapelle dédiée à saint Georges, saint patron des chevaliers, dont on ne connaît pas la position. Enfin le château était défendu de 7 tours. Nous connaissons le nom de certaines : Tour au Lyon, Tour de l'Horloge, Tour ou demy-rond sur Corbenaulx, Tour Messire Chas et Tour Guilet (nous ignorons la position exacte de ces deux dernières).
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Extrait de l'estampe de Joachim Duviert (voir ci-dessous). Il permet de distinguer quatre tours différentes : le donjon, ou "Tour au Lyon", la Tour de l'Horloge, à noter que l'ancienne porte semble murée (elle sera démurée en 2000), la Tour sur Corbenaulx avec la muraille descendant "sur Corbenaulx", et en A la tour surmontant le "corps de garde", salle située au-dessus de la "Salle Basse". S'agit-il de la "Tour Messire Chas" mentionnée au XVe siècle dans les archives ducales ?
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C’est
dans ce cadre défensif que la ville allait s’épanouir jusqu’au XVIe siècle. Dans les années 1530, le fossé de la « rue des Fossés »
était comblé.
L'estampe de Joachim Duviert, datant de 1609, première
représentation figurée de la ville, nous permet d’apprécier cette position de
la ville et du château dans la vallée,
peu de temps après la fin des Guerres de religion. Elle nous représente aussi
les murailles dont le tracé doit remonter du XIIIe siècle, en particulier celle au bas de la côte depuis disparue et comblée.
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Joachim Duviert, Bar-sur-Seine en 1609 B.N.F., Cabinet des Estampes, collection Lallement de Betz, réserve V x 23 n°2922
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Que reste-t-il de ce château médiéval ? Des ruines, des
restes de murailles et de tours sont encore visibles et permettent de dresser
grossièrement un plan. La Tour de l’Horloge est une reconstruction d’après-guerre, inaugurée en 1948,
à la suite de son dynamitage par les nazis le 5 août 1944, elle surmonte la première porte de l'espace fortifié, donnant accès tant à l'enceinte de la ville qu'à la seconde porte, entrée véritable du château, un peu plus au nord, après un gros contrefort. Le passage entre les deux porte était sous la surveillance d'une salle qui le dominait, placée au-dessus de la "Salle Basse", et dont subsiste une archère. Ainsi, les personnes passant par la porte sous la Tour de l'Horloge se trouvaient exposées aux tirs de cette archère, placée dans la muraille de la véritable "Salle des Gardes", hypothèse que l'on peut déduire des récits de Jacques Carorguy.
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Archère percée dans le mur d'une salle aujourd'hui ruinée placée au-dessus de la "Salle Basse". Photo : Jacky Provence (07/03/2007)
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La "Salle Basse", imaginaire
La « Salle Basse » a fait couler d’encre, appelée
par-ailleurs et de façon éronée « Salle des Gardes ». Quel aurait été l'intérêt, comme nous venons de le voir, d'une salle des gardes souterraine et de laquelle on ne pouvait rien surveiller et garder, nécessitant par ailleurs de gravir des marches pour en sortir.
Les vestiges de la "Salle Basse", ainsi que les murs dans son prolongement, sont inscrits à l’Inventaire des Monuments Historiques (arrêté du 7 mai 1982). Son aspect souterrain a
depuis longtemps nourri l'imagination et les fantasmes de nombreux Barséquanais,
alimentés par l’un des premiers à nous la décrire, Lucien Coutant. La
chronologie de cette « découverte » nous permet de comprendre la
place de ses publications dans la construction de cet imaginaire romantique.
Lucien Coutant, dans un premier article de l'Almanach de
Bar-Sur-Seine de 1848
ne fait allusion à aucune salle. Si elle avait été connue, il n'aurait pas
manqué de l'évoquer. Aussi elle n’est pas encore découverte. La mention de la
salle apparaît quatre ans plus tard, dans un récit romancé de l'Almanach de
Bar-Sur-Seine de 1852.
Cet article évoque la prise de Bar-Sur-Seine par le sire de Praslin en avril
1591, récit très romancé. Le maréchal, d'après Coutant, venait de s'emparer du château. Il poursuit
son récit ainsi :
Le maréchal fit assembler ses officiers, et les
conduisant à travers de vastes galeries souterraines, pénétra dans une grande
salle carrée voûtée en ogive et n'ayant d'autre ouverture que la porte y
donnant entrée. Une lampe pendue à la clé de voûte éclairait seule cette sombre
demeure (... ). C'était la salle des délibérations secrètes. Un jeune officier
ligueur, tandis que ses compagnons se font massacrer, aurait décidé de trahir
pour avoir la vie sauve. Et traversant les mêmes galeries souterraines (...),
l'officier pénétra dans un petit cachot carré et, frappant une large dalle du
pied : « Faites lever ceci, monseigneur, et dans un instant vous serez au
milieu de la ville... ». On leva la dalle et un bel escalier de pierre s'offrit
à la vue du maréchal. « - Où conduit cette galerie ? demanda ce dernier. - Dans
le couvent de la Trinité, monseigneur ».
Il est certain que de part la topographie des lieux, ce
récit ne peut être qu’imaginaire cependant, tous les ingrédients étaient en
place ; ils allaient nourrir l'imaginaire collectif des Barséquanais
pendant plus d'un demi-siècle, entretenir le secret et le mystère de la salle.
Lucien Coutant, revient sur la découverte et la description
de cette salle dans Histoire de la ville et de l'ancien comté de
Bar-Sur-Seine :
Tout
récemment, dans la vigne qui occupe le plateau du château, a été découvert un
souterrain qui formait une vaste pièce carrée, n'ayant d'autre issue qu'une
seule ouverture ; elle communique à un corridor dont les éboulements n'ont pas
permis de juger de l'étendue ni des dispositions. M. Gayot, de Bar-Sur-Seine,
en avait commencé le déblaiement qui fut abandonné. Cette pièce n'était-elle
pas la salle des délibérations secrètes ? Peut-être était-elle le lieu de
détention des prisonniers de distinction.
Elle est voûtée en ogive et reçoit des quatre angles des
nervures prismatiques ; la hauteur sous clef est de six mètres environ. Au
milieu de la voûte se voit encore un anneau qui a dû servir à soutenir une
lampe. Ce souterrain, entièrement recouvert aujourd'hui, paraît une
construction du XIIIe siècle, époque à laquelle Milon IV fit
construire la Tour du Lion.
Ainsi la découverte de la salle semble avoir été faite entre
1848 et 1852. Coutant n'y trouve qu'une seule porte mais elle est bloquée par
des éboulements.
Alphonse Roserot dans le Dictionnaire Historique de la
Champagne Méridionale des origines à 1790 fait une description plus complète de la
salle, qu'il appelle « salle du donjon » :
mur épais de 2 m. 50. Plan à peu près carré,
5 m. 20, de l'est à l'ouest, et 5 m. 30, du sud au nord. Voûte haute de 5 m.
30, construite sur ogive et sans formerets. Porte primitive, au nord large de 1
m. 30., haute de 1 m. 70, le linteau soutenu par deux modillons. De cette
porte on descendait dans la salle par un escalier.
Par ailleurs, il ne peut s'agir de la « chambre aux écuyers » sise dans le donjon que signale Fichot et dont il est question dans des comptes des dépenses faites pour des réparations des années 1420
[10], le donjon étant placé plus à l'ouest.
En 1942, si on suit bien Roserot, la porte sud est percée ;
c’est celle par laquelle on pénètre dans la "Salle Basse" actuellement. Cette
entrée figure aussi dans des relevés faits par Pierre Piétresson de Saint-Aubin.
Ainsi, il semblerait qu'elle eût été créée entre les années 1860 et 1880. Elle figure sur une impression sur verre datant de cette décennie (voir ci-dessous). Dans le même temps on a dû percer le mur ouest de la
salle.
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Pierre Piétresson de Saint-Aubin, Plan du caveau. Source : Arch. départ. Aube 12 J 30. Photo : Jacky Provence (12/02/2004)
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Dans ses relevés, Pierre Piétresson de Saint-Aubin lève le plan et donne
les mesures précises de la salle, qu’il nomme « caveau ». Il nomme
par ailleurs le percement du mur ouest, dont on a grossièrement maçonné une
porte, « petite galerie ». Il apparaît cependant qu’il ne s’agit
nullement d’une structure originale, mais d'un percement de la muraille afin de procéder à un sondage à la recherche
d’une de ces éventuelles « galeries » mentionnées par Coutant. Le
terrassier s'étant heurté à la roche a cessé la prospection. On aurait
alors remonté le mur ouest et maçonné l'ouverture actuelle donnant sur la
galerie creusée et remblayée de gravats et de pierrailles. La nature des
pierres de cette "porte" et du mur remonté, et leur taille montre en effet qu'elles ne sont pas d'origine et
qu'elles sont bien postérieures au reste de l'appareillage.
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L'appareillage du mur entourant la porte et la porte elle-même montre que ce travail n'est pas d'origine mais est bien plus tardif, une reconstruction consilidation. Photo : Jacky Provence (1994) |
Roserot remarquait l'absence de formerets. En effet ils sont inutiles. L'arc formeret est destiné à recevoir la retombée d'une voûte à son intersection avec un mur vertical. Il dirige les poussées de la voûte vers des chapiteaux. Ainsi le mur n'est plus indispensable ; il peut être percé de baies ou de grandes fenêtres. Or la salle n'a pas été conçue pour être percée de fenêtres, c'est une salle basse, en sous-sol. Aussi aucun allégement des murs n'est nécessaire, ces derniers ont une épaisseur d'au moins deux mètres cinquante et prennent appui directement sur la roche à l'ouest.
Une salle du début XIIIe siècle
La voûte d'ogive est une innovation technique de l'époque
romane. On la trouve dès le XIe siècle en Italie du Nord et dans le domaine
anglo-normand. L’un des premiers grands exemples est la cathédrale de Durham,
en Angleterre. En Champagne méridionale, les voûtes d'ogives au XIIe siècle
sont rares. L'hémicycle d'Isle-Aumont présente deux bandeaux plats, sortes «
d'ogives-ancêtres » qui semblent remplir un objectif ornemental tout en
renforçant le cul-de-four. C'est à la fin de XIIe et au début du XIIIe siècle que la voûte
d'ogive fait réellement sont apparition en Champagne méridionale. A cette
époque, les voûtes sont bombées et les ogives ne sont encore que de « gros
boudins » ou des bandes plates. Ce n'est qu'au cours du XIIIe siècle que
l'ogive devient un élément ornemental harmonieux et gracieux, avec pour exemple
local l'église de Mussy-Sur-Seine. Nous avons ici ces références
religieuses séculières grâce à la précieuse étude de Marguerite Beau.
A l’échelle régionale, d'autres exemples existent, en particulier dans le domaine régulier et plus précisément cistercien. Ainsi les forges de l'abbaye de Fontenay possèdent le même type d'ogives. Plus près de nous, le «Porterie» de l'abbaye de Claivaux, bâtiment qui donne l'accès à l'intérieur des anciens bâtiments conventuels, présente des nervures similaires : deux travées voûtées sur croisée d'ogives dont les nervures reposent sur des culots en forme de triangles renversés. Les nervures sont de section carrée mais largement chanfreinées sur les côtés. Elles sont séparées par deux larges arcs cintrésCes voûtes tant des forges de Claivaux que de Fontenay sont datées de la fin du XIIe siècle. On les retrouve encore dans le logis abbatial de l'abbaye de Claivaux, dans le bâtiment des convers de Longuay (Haute-Marne) et plus tardivement dans les tours d'entrée du château de Saint-Dizier (sans doute construites vers 1210-1220).
D'autres exemples existent à Bar-Sur-Aube. Jean-Claude Czmara en a photographié plusieurs dans des celliers, datés de la fin du XIIe siècle ou du début de XIIIe siècle.Plus loin, des celliers avec des voûtes ayant le même type de nervures se trouvent à Reims.
Ainsi, il ne serait pas abusif de dater la salle basse du château du début du XIIIe siècle et même avant le départ de Milon IV en croisade en 1219. Des précédents existent tout d'abord dans le domaine religieux, puis dans le domaine militaire. Le style gothique qui en est à ses débuts ne devait pas être tout à fait étranger à Milon IV. Il avait hérité de la seigneurie du Puiset et de la vicomté de Chartres où il partageait ensuite son temps avec Bar-Sur-SeineLa cathédrale de Chartres vit son achèvement en 1220, soit un an après le mort de Milon IV. Il en avait sans aucun doute fréquenté le chantier. Familier de Philippe Auguste, Milon IV accompagna le roi dans une expédition militaire en Normandie et participa au siège de Rouen en 1204. Il put encore se familiariser avec les modèles normands, premiers exemples de voûtes d'ogives sur le continent. Dans le même temps Philippe Auguste achevait la construction de nouvelles forteresses, dont le fameux Louvre (vers 1190-1202). Selon Michel Belotte, le comte de Bar-Sur-Seine aurait eu un grand-oncle évêque de Durham, berceau de la voûte d'ogive. Cependant rien ne peut nous permettre d'affirmer qu'il a traversé la Manche. Enfin, lors de son pèlerinage en Terre Sainte en 1211, a-t-il visité les chantiers des grandes forteresses qui devaient protéger les États Latins d'Orient, dont le fameux Krak des Chevaliers, et dans lesquelles étaient élaborés les systèmes défensifs les plus sophistiqués à l'époque, au contact des musulmans ?
Ainsi le comte Milon IV ne semble plus se contenter du vieux donjon quadrangulaire de ses prédécesseurs et semble vouloir imiter les plus grands, accroître d'une part les capacités défensives de sa demeure, symbole de sa puissance, arborant les armoiries familiales avec le Lyon, et d'autre part en augmenter les commodités afin de la rendre plus agréable.
La Salle Basse, réalité ?
La salle basse reste aujourd’hui le vestige le mieux conservé du château, sans doute le dernier témoin de ce que dût faire bâtir le comte Milon IV. Cependant, à l'époque, ce n'est qu'une modeste salle, sans ouvertures, en contrebas du reste du château, surmontée d’une autre salle et d’une petite tour, ces dernières disposées de façon à protéger les entrées du château. C'est une salle aménagée en sous-sols, blottie dans les fondations, entre des murs qui peuvent mesurer deux mètres cinquante d'épaisseur et la roche de l’éperon. Il fallait descendre un escalier pour y accéder. Tous les édifices locaux qui utilisent le même type de voûte sont des communs et des caves et non des pièces d'apparat ou de culte. Cette salle n'est pas une chapelle souterraine comme certains l'ont avancé, pas plus qu'une prison pour prisonniers de marque ou une salle de délibérations secrètes. Pour quoi faire, d’ailleurs ? Nous avons ici une image romantique et déformée du Moyen-âge. La réalité est bien plus simple. La salle basse est très certainement une cave ou un cellier dans lequel le seigneur pouvait entreposer des réserves.
Cul-de-lampes - ou culots - massifs témoignent de la simplicité d'exécution, réalisés de façon grossière sur lesquels retombent les ogives, comparés à ceux bien plus finement sculptés de la toute proche et peut-être contemporaine chapelle d'Avaleur ; la qualité architecturale y est sans commune mesure. Ceux de la salle basse sont composés de deux morceaux principaux, une partie inférieure arrondie et à facettes, le panier, une partie supérieure évasée aussi à facettes. Le contact entre les deux morceaux n'est pas parfait. Il a nécessité un calage plus ou moins important, très épais à l'angle sud-ouest et presque inexistant à l'angle sud-est. La partie inférieure est sans doute celle qui a le plus posé de problèmes au tailleur ; très proéminent à l'angle nord-est, il est beaucoup plus modeste à l'angle sud-est. On n'avait pas recherché la perfection pour ce qui ne devait être qu'un cellier ou tout au moins une salle modeste.
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Photos de la Salle Basse. Jacky Provence (1994) |
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Photos de la voûte de la salle basse. Christophe Adam (2005)
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La voûte est solide. Elle a résisté à l'effondrement de la
tour et la courtine qui la surmontaient, visibles encore sur l’estampe de Joachim
Duviert et encore en ruines dans d’anciennes photographies.
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Montage montrant la dégradation de la tour qui surmontait le "corps de garde" en A (la "salle des gardes) avec en-dessous la Salle Basse
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Elle supportait plusieurs
mètres de décombres ou remblais dégagés dans les années 2000,
mettant à jour les bases de la salle des gardes avec archère qui défendait la première porte du
château sous la Tour de l’Horloge que nous avons évoqué plus haut, au-dessus de la "Salle Basse". Le déblaiement de ces gravats ne s'est fait sans aucune règle de base par un groupe d'amateurs, les entassant un peu plus loin, en lesquels était mêlés tuilots et morceaux d'anciens enduits peints qu'il aurait pu être intéressant d'étudier quant à leur composition et leur datation. Plus grave, l'enthousiasme de ces amateurs les ont poussé à fouiller plus profond, ouvrant une brêche au-dessus de la salle dans laquelle aboutissait la galerie, salle où devait se trouver les escaliers qui descendaient à la salle basse, brèche qui allait d'année en année être agrandie menaçant même la stabilité de la salle basse et de la muraille Est, s'effondrant sur sa partie haute et comblant la galerie d'escalier.
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Si la brèche réalisée et le dégagement qui a été fait a permis de distinguer la porte par laquelle débouche la galerie menant de la salle basse une autre salle où devait se trouver l'escalier, en 2003 (photos ci-dessus), les effondrements successifs ont comblé cette salle masquant la porte de la galerie (2008/2009 : photos ci-dessous).
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Cette photo montre bien comment la muraille Est (à gauche) s'est effondrée et a contribué au comblement de cette salle masquant la porte de la galerie menant à la salle basse. Photo : Jacky Provence (02/11/2010) |
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La galerie depuis la salle basse puis à l'autre bout. Les photos montrent bien les effondrements qui se sont faits après le dégagement de cette porte en 2003. Photo : Christophe Adam (2005) |
Fort heureusement, le site a été depuis placé sous protection, en attendant un vrai travail de fouilles, réalisé dans les règles de l'art, nécessaire à la compréhension du site et à sa préservation ensuite, site du château qui vit naître Jeanne de Navarre, 14 janvier 1273, dernière héritière du comté de Champagne qui, par son mariage 16 août 1284 avec Philippe, futur roi Philippe IV le Bel (elle avait 11 ans et Philippe 16 ans), fit entrer le comté de Champagne et le comté de Bar-sur-Seine dans la couronne de France.
Aussi, à l'aide de divers relevés, dont ceux de Christophe Adam et des relevés personnels, de plans et cadastres anciens, nous ne pouvons que proposer un plan hypothétique et schématique de ce que devait être le château de Bar-sur-Seine à la fin du Moyen-âge.
Michel Belotte, La région de Bar-Sur-Seine à la fin du Moyen-âge, 1973, p.23.