La question fait débat depuis la fin du XVIIIe siècle. Les commentaires les plus récents et les plus nombreux y voient Sainte-Marthe. Véronique Boucherat, dans le catalogue de l'exposition Le Beau XVIe siècle. Chefs d'œuvre de la sculpture en Champagne (Hazan, 2009, p.165), dans son article sur le Maître de Chaource, identifie bien cette sainte. À contre-courant, suivant Charles Fichot et le chanoine dijonnais Morillot, Jean-Luc Liez y voit Marie-Madeleine portant un encensoir (Fraises, pourpoints, vertugadins et escoffions. Le costume du XVIe siècle dans la sculpture champenoise. Livret du Visiteur, p.11). Ses principaux arguments sont que l'on aurait mal identifié sur cette sculpture un certain nombre d’attributs.
Le seau d'eau bénite portant les traces de la croix disparue
Le vase qu'elle tient ne serait pas un seau d'eau bénite mais un vase de braises "semblable aux couvets utilisés par tant de Troyennes à cette époque", sur lesquelles la sainte égrainerait l'encens à l'aide d'un bâtonnet. J'avoue ignorer ce qui fait dire que les Troyennes étaient si nombreuses à avoir un couvet semblable.
Qu'est-ce qui a permis à Charles Fichot d'affirmer une telle chose ? Des représentations de Troyennes portant un tel couvet, dans l’art de l’époque, seraient-elles si nombreuses ?
Rien ne permet, non plus, d'affirmer qu'elle tienne un bâtonnet entre les doigts de sa main gauche avec lequel elle égrainerait de l’encens. Il est difficile d’imaginer un tel geste, il serait incohérent, la sainte portant par l'anse passée au poignet gauche le couvet et de la même main le bâtonnet pour égrainer l'encens. Auquel cas : où tiendrait-elle l'encens, puisque la main droite tient fermement un autre objet, un objet cylindrique ne ressemble en rien à de l’encens, conditionné en grains de résine. Bref, une telle affirmation ne tient pas face à une simple analyse critique.
Suivant le chanoine Morillot, Jean-Luc Liez pense que la sainte aurait sur la main gauche une mitaine qui la protégerait de la chaleur du vase à braise. Cependant, des photos prises en gros plan de la main gauche sous divers angles permettent non pas d'identifier une mitaine mais bien quelque chose de plus étroit et épais, une sangle ou courroie. Par ailleurs, la courroie ne couvrant que sur une étroite largeur la main, celle-ci ne peut être quelque chose destiné à la protéger de la chaleur des braises. Un trou est visible dans la courroie ; s'agirait-il du trou de l'aiguille de la boucle de la ceinture de la sainte ? Cette courroie fait le tour de la main et vient repasser par dessous le pouce. De plus, pourquoi porter une mitaine pour se protéger de la chaleur alors qu'elle ne tient pas à la main l'ance du vase à braise mais que celle-ci est portée par le poignet de la sainte. Ainsi, plus qu’une mitaine, qui serait de fait fort étrange, elle semble bien tenir fermement une sangle de sa main gauche.
Détail de la main gauche de sainte Marthe
En fait, une telle attribution pose beaucoup plus de questions et de problèmes qu'elle n’apporte de résolution incontestable. Par ailleurs, l'auteur se détache fort du texte de celui dont il prétend, pourtant, suivre les arguments irréfutables. Charles Fichot décrit le geste de la sorte : "Une chaufferette, dont l'anse est passée dans le poignet du bras gauche, contient des charbons ardents ; de ses deux mains, Madeleine brise un petit bâton aromatique, dont les esquilles, en tombant sur le feu, doivent répandre dans la grotte une odeur agréable et pénétrante" (Charles Fichot, Statistiques monumentales du département de l'Aube, 1900, t.IV, p.211). Bâton aux aromates qu'elle briserait ou bâton pour égrainer l'encens ? J'avoue que Jean-Luc Liez tout en donnant les références des ouvrages desquels il est sensé puiser ses arguments utilise ceux-ci avec fort grande légèreté et liberté d'interprétation. Par ailleurs, si comme le dit Fichot c'est un vase de braise qu'elle porte, cette représentation s'éloignerait des Écritures car la Madeleine qui se rend au tombeau tenait un vase à onguent.
Il existe un autre détail important que le chanoine Morillot comme Jean-Luc Liez ont ignoré ou n'ont pas vu, et pourtant sur lequel s’est attardé l’abbé Nioré ("La statue de sainte Marthe dans l'église Sainte-Madeleine de Troyes", Mémoires de la Société académique de l'Aube, année 1904, p.250-283), article rédigé en réponse de celui du chanoine Morillot. La sainte tient bien fermement quelque chose dans la main gauche. Aujourd'hui, l'objet a disparu mais a laissé le trou dans lequel il devait être glissé et que l'on distingue bien lorsque l'on se place juste en-dessous de cette main. Cet objet devait se prolonger vers le bas ; une entaille sculptée est visible sur le seau dans l'axe de ce trou. Quel objet devait bien tenir ainsi la sainte ? S'il s'agissait d'une croix, on pourrait alors incontestablement identifier sainte Marthe, la croix étant l'un de ses attributs.
Gros plan sur l'emplacement de la croix
Jean-Luc Liez en vient ensuite à une hypothèse fort hardie : "la statue devait appartenir à une Mise au tombeau non localisée à ce jour", affirmation fort hasardeuse appuyée de quelques mentions anciennes qui ne sont en aucun cas des preuves, juste des éléments éparses et relativement fragiles, assemblés pour étayer l’hypothèse. Un regard un peu plus attentif posé sur cette statue permet de se rendre clairement compte que celle-ci n'a pas été conçue pour appartenir à un groupe sculpté et en tout état de cause une mise au tombeau. Si véritablement elle devait figurer dans une telle mise en scène, le bas de sa robe aurait été caché par le tombeau et n'aurait pas été sculpté avec autant de précision et de qualité. Il suffit d'aller vérifier à Chaource. Et que dire alors de la précision de son pied et de la sandale ? Il est indéniable qu'elle a été sculptée comme une statue indépendante et n'appartenant pas à un groupe. Il s’agit même d’une ronde-bosse, les plis du manteau dans le dos sont particulièrement soignés. Enfin, dans tout le corpus des mises au tombeau ou des représentations de la sainte à cette époque et dans la région, jamais Marie-Madeleine n'est représentée portant un vase à braises égrainant l'encens ou rompant un bâton aromatique, mais avec un vase aux onguents duquel souvent elle ouvre le couvercle. Ce qui est beaucoup plus conforme, d’ailleurs, aux Écritures à une époque où l'on y est très attentif.
Sainte Marthe de profil
Je me tiendrai donc à voir en cette statue sainte Marthe.
La légende raconte que Marthe, Marie-Madeleine, Lazare et d'autres saints, jetés par des Juifs en Palestine dans un bateau sans voile ni rame, auraient accosté en Camargue vers l'an 48. Marthe remonta le Rhône et arriva à Tarascon où sévissait un monstre : la Tarasque. Elle dompta la bête brandissant la Croix et l’aspergeant d’eau bénite, lui passa sa ceinture au cou et la ramena au village.
Cette sculpture est reconnue comme étant l’un des plus grands chefs d’œuvres de la sculpture Troyenne du début du XVIe siècle, au point d'être une œuvre de référence, celle de « l'atelier de la sainte Marthe », identifié par ailleurs comme étant aussi celui qui réalisa la Mise au Tombeau du Sépulcre de Chaource, et appelé plus couramment aujourd'hui « atelier du maître de Chaource ». Pourtant, Charles Fichot, auteur ayant la préférence de Jean-Luc Liez, l'attribuait sans trop d'hésitation à François Gentil. Dans le premier cas, cette œuvre serait alors de la première moitié du XVIe siècle ; dans le deuxième cas de la seconde moitié.
La légende raconte que Marthe, Marie-Madeleine, Lazare et d'autres saints, jetés par des Juifs en Palestine dans un bateau sans voile ni rame, auraient accosté en Camargue vers l'an 48. Marthe remonta le Rhône et arriva à Tarascon où sévissait un monstre : la Tarasque. Elle dompta la bête brandissant la Croix et l’aspergeant d’eau bénite, lui passa sa ceinture au cou et la ramena au village.
Cette sculpture est reconnue comme étant l’un des plus grands chefs d’œuvres de la sculpture Troyenne du début du XVIe siècle, au point d'être une œuvre de référence, celle de « l'atelier de la sainte Marthe », identifié par ailleurs comme étant aussi celui qui réalisa la Mise au Tombeau du Sépulcre de Chaource, et appelé plus couramment aujourd'hui « atelier du maître de Chaource ». Pourtant, Charles Fichot, auteur ayant la préférence de Jean-Luc Liez, l'attribuait sans trop d'hésitation à François Gentil. Dans le premier cas, cette œuvre serait alors de la première moitié du XVIe siècle ; dans le deuxième cas de la seconde moitié.
Le corps de la sainte est entièrement enveloppé par le manteau à capuchon qui tombe jusqu’au sol. D’un pli de l’étoffe formé au contact du sol émerge un pied dans une sandale. Le manteau est maintenu sur les épaules par une bride semblable à celle de la Vierge de Chaource. Sous le capuchon, elle porte un bonnet, attaché sous le menton par deux brides, mis par-dessus un voile. Ainsi son visage semble encadré d’un triple voile. Autres traits similaires aux Saintes Femmes du Sépulcre de Chaource, le visage : de forme plutôt triangulaire, aux traits réguliers, les paupières baissées, les arcades légèrement relevées et le nez à arêtes droites, une bouche fine et un menton court. Les visages sont très proches et paraissant sortir du même ciseau.
Sainte Marthe de Sainte-Madeleine de Troyes et la Vierge du Sépulcre de Chaource
Sous son manteau, elle porte une robe à larges manches serrées aux poignets ; serrée au col, elle forme sur la poitrine un éventail de petites fronces. Malgré la simplicité du vêtement, elle exprime une certaine noblesse et gravité. La polychromie renforce cette impression - mais est-elle d'origine ? Lorsque que l’on se place dans l’axe de son regard, on sent en elle la détermination et la force de la Foi. Elle tiendrait donc de la main droite l’aspersoir dont elle vient de se servir ou qu’elle s’apprête à utiliser et de la main gauche la croix et la courroie de sa ceinture, l’anse du seau d’eau bénite passée à ce poignet.
Reste à savoir quel moment précis est représenté. Tient-elle déjà attachée à sa ceinture la Tarasque qu’elle vient de dompter ? Observe-t-elle l'accomplissement du miracle, alors qu’elle vient d’asperger la bête, attendant de lui passer sa ceinture autour du coup ? Cette seconde solution permettrait d’expliquer l’absence de la bête qui, dans le corpus, est presque toujours représentée au pied de la sainte et dont aucune trace ici ne subsiste, à moins qu’elle ait été sculptée détachée de la sainte mais, dans un tel cas, l’équilibre de cette sculpture en ronde-bosse en serait modifié.
Au regard des dernières recherches et publications, le "Maître de Chaource" serait Jacques Bachot :
- Julien Marasi, Le Maître de Chaource, découverte d'une identité. Catalogue raisonné. Préface Geneviève Bresc-Bautier, Troyes, Commune de Chaource et Centre troyen de recherche et d'études Pierre et Nicolas Pithou, 2015, ISBN 978-2-907894-62-3
Sainte Marthe semblant contempler l'action de l'eau bénite sur la Tarasque
Informations très intéressantes sur Sainte Marthe.
RépondreSupprimerJ'ai lu les prières et neuvaines de Sainte Marthe et je vous recommande de les lire aussi, elles sont très puissantes.